ROGER CHAPMAN – Life In The Pond

Ruf Records
Rock
ROGER CHAPMAN - Life In The Pond

Roger Chapman ! Assurément l’une des voix les plus emblématiques au tournant des late sixties et des early seventies, et contemporaine de fauves tels que Chris Farlowe, Eric Burdon, Phil May et Van Morrison… Lead singer de Family (de leur fondation en 1966 jusqu’à leur split en 1973), puis des Streetwalkers (avec son complice John “Charlie” Whitney). Et enfin, trente ans durant, en solo (avec notamment le guitariste Geoff Whitehorn, passé ensuite dans les rangs de Procol Harum auprès de Gary Brooker). Son éruptif tempérament scénique (incorrigible destructeur de tambourins devant l’Éternel) et surtout, son chevrotement caractéristique (capable en son temps d’escalader les aigûs jusqu’à l’extrême limite du gargouillis suffocatoire), associés à sa plume féroce de songwriter acrimonieux, en ont inscrit la légende dans les pages du Grand Livre du Rock Anglais. Ce dont il se contrefiche d’ailleurs comme d’une guigne, puisqu’il effectua (comme Spencer Davis, Kevin Coyne et la plupart des sus-nommés) l’essentiel de sa fin de carrière en Allemagne (terre d’asile des refoulés d’Albion, de même que la France pour ceux d’Outre-Atlantique). Sauf que… Sauf qu’une inespérée reformation de son groupe originel début février 2013 lui réinsuffla ce flux vital dont il se croyait désormais dépourvu. Outre deux concerts (réputés uniques) au Shepherd’s Bush Empire de Londres, Family se produisit encore devant maintes foules ébahies jusqu’à son ultime adieu (?), deux jours avant Noël 2016, à Leicester (ville natale de ce bon Roger). Il n’empêche que le dernier album solo de ce dernier datait tout de même de 2009, et qu’à 67 balais, notre homme s’y sentait le droit légitime de tirer sa révérence pour s’adonner aux saines joies d’une retraite méritée. On ne sait donc quelle mouche a bien pu piquer ce presque octogénaire pour qu’il reprenne à présent le harnais, mais la simple mention parmi les crédits de ce nouvel album des contributions conjointes de Geoff Whitehorn et John “Poli” Palmer (multi-instrumentiste surdoué, au temps des riches heures de Family) ne peut manquer d’interpeller. Avec son tango-beat, ses heavy guitars et ses lyrics sarcastiques, le “Dark Side Of The Stairs” introductif rappelle le Alex Harvey Band, de même que l’apocalyptique “Playtime Is Over” (“stairway to heaven or highway to hell”!). Il faut dès lors préciser que hormis les vocals de Roger, c’est bien Poli Palmer qui assure ici la plupart des arrangements et leur instrumentation (les six cordes magiques de Geoff Whitehorn n’intervenant que sur trois titres). Sur un beat claudiquant emprunté au “Smokestack Lightning” du Wolf, “Nightmare #5” est un blues synthétique, auquel les claviers de Palmer confèrent une incongrue touche proto-eighties, dans l’esprit gris-amer de Van Der Graaf circa “Godbluff”. Ayant enfin atteint l’âge de sa voix, Chapman y éructe son dégoût d’une existence consacrée au travail et à la vanité. Le boogie “Rabbit Got The Gun” ravive la verve des Streetwalkers, célébrant la recherche irrésolue de l’ultime débauche, avant que l’utopique “After The Rain” ne tente de discerner une lueur d’espoir au tréfonds du merdier ambiant. S’ouvrant sur la “Marche Nuptiale” de Félix Mendelssohn, “Having Us A Honeymoon” rappelle les ragtimes parodiques dont Family s’était un temps fait une spécialité. Seule reprise de l’album, le parabolique “Snake” (d’Oscar Brown Jr.) semblait prédestiné à un misanthrope aussi sarcastique que Chapman, qui s’y ébroue comme un elfe malicieux. Le mélancolique “On Lavender Heights” ne le révèle pas moins sous un jour plus sensible et délicat que jamais (l’âge, sans doute). Palmer y réalise des merveilles, pour en concevoir l’un des écrins les plus ciselés de cette collection. Avec la guitare acide de Whitehorn, “Green As A Guacamole” nous ramène le Chappo acerbe, dardant de sa morgue les media et leurs mass-manipulations quotidiennes (nous en tenons la traduction à disposition de Jean-Luc Mélenchon sur simple demande). Le commentaire social se poursuit avec “Collar Turned Up”, fustigeant notre époque pétrie d’individualisme forcené et d’avidité à tout crin. Cette livraison se referme sur le nostalgique “Naughty Child”, au fil duquel Roger égrène maints souvenirs musicaux de sa jeunesse (de Ray Charles à Dylan et aux Byrds, ainsi qu’à T-Bone Walker, Elvis, Leadbelly et aux Animals). Comme les Who ou les Pretty Things (de la même classe d’âge que lui), Roger Chapman ne se résout donc toujours pas à vieillir gracieusement. Grâce lui en soit rendue: cet album est un bonus inespéré!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, June 15th 2021

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La première fois que j’ai vu Roger Chapman sur scèce, c’était à l’Olympia, en 1970, lors d’une Opération Underground Music à laquelle participaient plusieurs groupes différents tous les 2 jours. Il y avait ainsi eu 3 fois 2 séries de concert. L’affiche était alors monumentale! En ce qui me concerne, j’avais ainsi pu voir Zoo, Trapèze, Family, Colosseum et les Moody Blues. Roger Chapman sur scène était quelque chose de grandiose, bien que l’on ait souvent dû se cacher derrière le dossier du siège du rang précédent pour éviter que quelque objet balancé par le chanteur ne nous arrive sur la tronche! Family était d’ailleurs un groupe exceptionnel: Music In a Doll’s House, Entertainment, A Song For Me, Anyway, Fearless, Band stand, It’s Only a Movie, The Peel Sessions et BBC Radio 1 Live In Concert demeurent de véritables pépites, témoins de ce qui se faisait de mieux à l’époque. Sans mentionner les 12 singles recensés, et les 4 compilations. Ce qui était remarquable était la transe dans lequel le chanteur était plongé et l’organe vocal extraordinaire dont il était… et est toujours doté. Depuis la fin de Family il a enregistré bon nombre d’albums solo (23!) et à chaque fois surprises et talent étaient au rendez-vous! Et celui-ci ne déroge pas à la règle! Tous les titres ont été composés par le duo Chapman/ Palmer. Le même John Palmer qui sévissait du temps de Family! Et c’est eux qui ont procédé aux arrangements et à la production. Chapman chante et Palmer s’occupe du séquençage, des overdubs et des claviers. Un guitariste vient en renfort, Geoff Whitehorn, sur certains titres. Le chanteur récapitule ca carrière, ses influences et ses choix musicaux. Il n’avait rien produit et publié depuis 2009 et ce qu’il sort aujourd’hui est le fruit d’une aptitude à interpréter la musique de son temps avec brio. On ne s’en lasse jamais! Il y en a pour tous les goûts tant les influences du chanteur ont été nombreuses: Rock américain, British R’n’B, folk, Blues, Motown, Stax, Americana, Country ou encore Jazz. Un véritable humaniste pour qui toute influence est bonne à être assimilée du moment qu’elle sert à fairer de la bonne musique!

Dominique Boulay
Paris-Move & Blues Magazine (Fr)

PARIS-MOVE, June 21st 2021