Roberto Montero – Todos Os Tempos (FR review)

Self Released – Street date 2025 – Available
Jazz
Roberto Montero - Todos Os Tempos

Parfois, un album nous séduit d’abord par sa texture sonore, par l’atmosphère qu’il déploie avant même que ses mélodies ne commencent à se révéler. C’est précisément le sort que jette Todos Os Tempos («Tous les temps et toutes les époques»), le premier projet solo du guitariste et compositeur Roberto Montero. Album instrumental brésilien contemporain issu exclusivement de compositions originales, il se situe au carrefour de la musique populaire, du jazz et de la pensée classique. Ce mélange de genres n’a rien d’un simple ornement; il reflète l’une des dynamiques les plus profondes de la musique brésilienne, où la frontière entre le populaire et l’érudit a toujours été poreuse, fertile et sans cesse réinventée.

Pour comprendre d’où vient Montero, il faut le situer dans la lignée des guitaristes brésiliens qui ont façonné à la fois l’identité nationale et la perception internationale du pays. On pense à Bola Sete, avec son lyrisme océanique et sa capacité inégalée à fondre le samba dans un phrasé jazz; à Guinga, maître des labyrinthes harmoniques et des mélodies empreintes de mélancolie; à Toninho Horta, dont la sonorité cristalline et les harmonies flottantes ont redéfini le son du Minas Gerais. Montero n’imite aucun d’eux, mais il parle clairement une langue forgée dans le sillage de ces innovateurs, des instrumentistes qui ont démontré que la guitare brésilienne pouvait être à la fois intime et orchestrale, terrestre et expérimentale, ancrée dans la tradition tout en restant ouverte au monde.

Né au Brésil et installé depuis longtemps aux États-Unis, Montero a approfondi cette double identité culturelle à la Los Angeles Music Academy, où il a étudié auprès de visionnaires tels que Frank Gambale, Bill Fowler, Jeff Richman, Dave Pozzi, Tony Inzalaco, Linda Taylor et Joy Basu. L’exposition au jazz fusion, au vocabulaire harmonique américain et aux cadres rythmiques globaux a élargi son horizon sans le détacher de la sensibilité façonnée par la mémoire musicale brésilienne. Ce qui émerge aujourd’hui est une voix capable de naviguer aisément entre plusieurs univers, AC/DC d’un côté, les architectures raffinées de la musique brésilienne de l’autre. Cette dualité, loin d’être une curiosité, constitue le cœur même de son identité artistique.

Ce qui frappe d’abord à l’écoute de Todos Os Tempos, c’est la qualité de ses textures. Montero n’est pas un guitariste qui domine l’espace: il le sculpte. Son ‘son’ semble souvent surgir de la périphérie, pour ensuite habiter progressivement l’espace avec des couches qui paraissent plus respirées que jouées. Sa sonorité peut être veloutée, presque aquarellée, mais toujours soutenue par une clarté qui l’empêche de se dissoudre dans une simple ambiance. Cette attention portée à la texturem, si centrale dans l’histoire de la guitare brésilienne, de la rythmique chuchotée de João Gilberto aux harmonies miroitantes de Horta, donne à l’album sa résonance singulière. Les arrangements, délicats et parfois presque invisibles, semblent porter de lointains échos de voix brésiliennes, anciennes ou contemporaines, comme une brume matinale glissant sur les collines.

Dans le paysage des récentes parutions instrumentales brésiliennes, que l’on pense à Hamilton de Holanda, Chico Pinheiro, ou à la jeune génération qui explore l’esthétique post-choro ou post-MPB, l’album de Montero occupe un autre registre. Il s’intéresse moins à la virtuosité ou à l’orthodoxie d’un genre qu’à l’acte intime de tisser les époques entre elles. Là où nombre d’albums récents misent sur l’exubérance rythmique ou l’éclat technique, Todos Os Tempos privilégie la nuance, la réflexion et une architecture qui se déploie lentement. Sa force vient du détail, de la retenue, d’une volonté tranquille de ne pas éblouir mais de révéler.

Ce que Montero apporte de véritablement nouveau, c’est précisément cette synthèse: une manière de faire respirer la musique instrumentale brésilienne dans plusieurs temporalités à la fois. Son travail honore le passé sans nostalgie, embrasse le présent sans courir après les tendances, et ouvre un horizon où la guitare brésilienne continue de s’affirmer comme une langue globale. Il ne cherche pas à moderniser la tradition; il montre plutôt que la tradition a toujours été moderne, que la rencontre entre formes populaires et savantes, si fondamentale au Brésil, peut encore produire des formes nouvelles lorsqu’elle est confiée à un musicien qui écoute profondément.

Le titre Todos Os Tempos n’est pas seulement poétique; il est descriptif. L’album ressemble à une conversation entre les époques et les sensibilités, façonnée par un musicien élevé dans une maison débordante d’art, sa mère, Irene, peintre talentueuse à l’oreille attentive; son père, Endo, musicien accompli lui enseignant l’intention, l’expression, le poids émotionnel d’une seule note. Avec un tel héritage, il semble presque logique que Roberto Montero soit devenu ce compositeur à l’équilibre délicat et à la subtilité saisissante, habitant ce carrefour où la mémoire rencontre l’invention.

Plutôt que de faire de grandes déclarations, Todos Os Tempos invite l’auditeur dans un monde de précision et de clarté tranquille. C’est un album qui murmure plus qu’il ne proclame, mais dont la voix persiste, comme un accord dont la résonance refuse de s’éteindre.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, November 20th 2025

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Website

Musicians :
Roberto Montero: acoustic & electric guitar, vocal (synth guitar, bass & percussion on track 1, 10), (cavaco on track 3, 5), (additional perc. on track 5)

Featuring (in alphabetical order by last name):
Philip Bynoe: bass (track 5)
Léo Costa: drums (track 1)
Willian Góe: drums (track 3, 8)
Evandro Hasse: trombone (track 8)
Munyungo Jackson: udu & percussion (track 5)
Catina Deluna: vocal (track 4)
Arnou De Melo: bass (track 3, 8)
Rique Pantoja: piano and rhodes (track 1, 3, 6, 10)
Otmaro Ruiz: piano (track 4)
Osmar Schulze “Peninha”: drums (track 5, 10)

Vocals on track 8 (in order of “appearance”): Louise Lucena, Dorian Holley, Beth Rohde. Vocal group on track 8 (in alphabetical order by last name): Leandro Amaral, Cleuma Lima, Sergio Mielniczenko, Endo Luis Montero, Silvia Nicolatto, Lynda Reed.

Track Listing :
Igarapé (Caminho de Canoa)/ River Stream (Way of The Canoe)
Valsa do Tempo Parado/ Static Time Waltz
Vila Rica
Bom Balaio/ Hamper Box
Luz da Lua/ Light of the Moon
Chorando de Rir/ Laughing ’till it Hurts
Nem Tempo Nem Distância/ Neither Time Nor Distance
De Duas, Uma/ One Out of Two
Aquele Mar/ The Sea Over There
Vou Mas Fico/ Gone But Still Here