ROBBI CURTICE – Nothing To Write Home About

Freaksville Records / Kuroneko
Pop
ROBBI CURTICE - Nothing To Write Home About

Des sempiternels adeptes du “c’était mieux avant”, il nous faut une fois de plus tempérer l’engouement envers un passé fantasmé. Non, ce ne fut pas forcément plus fécond, ni décidément plus facile pour la créativité artistique, un demi-siècle avant notre ère… Pour un Cat Stevens (révélé dès 1966-67 par ses “Matthew & Son”, “First Cut Is The Deepest”, etc), combien de candidats à l’ascension éphémère des charts s’y brisèrent-ils les ratiches en vain? Car comme de nos jours, la compétition pop dénombrait alors déjà une foule d’impétrants pour bien peu d’élus. Et à moins de s’en remettre à l’aléatoire curiosité des radios pirates, il ne subsistait guère de repêchage pour les pétards mouillés et autres feux follets (ni les réseaux sociaux ni le streaming n’existaient en effet déjà). Et si Elton John, David Bowie, Marc Bolan, Rod Stewart et Genesis ne s’étaient pas obstinés (tandis qu’ils grenouillaient tous encore dans les limbes), la face des seventies (et des décennies suivantes) en eût été bien différente. Que croyez-vous qu’il advint des nombreux recalés de l’âge d’or de la sunshine pop? Eh bien, comme pour les déboutés de la politique ou des Grandes Écoles, il leur fallut se trouver un autre job, pardi. À la différence d’un Jesse Hector (front man légendaire des Hammersmith Gorillas, qui finit technicien de surface, comme la pauvre maman de notre Sinistre de l’Intérieur), et en dépit de titres prometteurs co-signés avec son complice Tom Payne, le jeune Robbi Curtice ravala ainsi ses ambitions de teenage idol, pour embarquer avec femme et bagages vers Chypre, où il exerça trente ans durant le noble métier d’enseignant (sous son véritable état civil, Rob Ashmore). Sa destinée eût pu en rester là, et ses premiers efforts demeurer plus méconnus encore qu’oubliés, sans le proverbial twist of fate, dont Sixto Rodriguez demeure l’épigone le plus fameux (remember “Searching For Sugarman”?). En 2007, le réalisateur français Serge Bozon se mit en quête d’une musique pour accompagner le générique final de son film “La France” (retraçant les amours tragiques du personnage qu’incarnait à l’écran Sylvie Testud, lors de la Première Guerre Mondiale). Son conseiller artistique lui dénicha alors une perle incunable sur une compilation suédoise de vintage pop obscure: “Gospel Lane”. Soit l’un des deux titres de la paire Curtice-Payne ayant surmonté l’obsolescence (l’autre étant “When Diana Paints The Picture”). De fil (Carnaby Street) en aiguille (de gramophone), ce modeste regain d’intérêt n’en vaut pas moins à ce brave Robbi de publier à présent son tout premier album, 55 ans après ses premières démos! Mais le plus étonnant, à l’écoute des 7 plages qui le composent, réside dans l’ambiguïté temporelle qu’elles recèlent. Tel un Hibernatus sonore, ni le timbre vocal de Robbi, ni la facture des arrangements que lui prodigue Benjamin Esdaffro, n’attestent de leur caractère récent. En effet, des délicieux “Seven Years Later”  et “Pick Up The Phone” (que l’on pourrait aisément prendre pour des outtakes du “Horizontal” des Bee Gees) à la plage titulaire, en passant par “1943” (rappelant le Bowie pré-“Space Oddity” période Deram) et “One Man” (du Paul Williams millésimé), rien ne signale ici que nous ne sommes pas en présence de l’une de ces time-capsules excavées de leur gangue par quelque entomologiste fou. D’autant que “Carrie’s World” accuse également un fort ascendant “Arnold Layne” et “See Emily Play”, et que pour ajouter à la confusion, l’expression “Nothing To Write Home About” était le leitmotiv du “I Am The Walrus” des Fabs… I really wish it could be 1967 again!

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, May 10th 2023

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