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On n’écoute pas immédiatement Heroes de Rick Keller avec une liste d’influences en tête. La sensation précède l’analyse: cette impression étrange de reconnaître des présences familières qui circulent dans la musique, des formes, des couleurs, des gestes que l’on croit connaître sans pouvoir encore les nommer. Ce n’est qu’ensuite, en lisant les mots mêmes de Keller, que le tableau se précise. Miles Davis. Weather Report. Wayne Shorter. Joe Zawinul. Herbie Hancock. Marcus Miller. Les frères Brecker. Ralph Towner. Allan Holdsworth. Bill Bruford. Voir cette liste noire sur blanc provoque un moment de reconnaissance presque autobiographique. Cela ressemble moins à une déclaration de goûts qu’à une confidence discrète, comme si Keller traçait la carte intime du territoire musical qui l’a façonné.
Pourtant, Heroes n’est en rien un album de citations ou de mimétisme. Keller ne cherche pas à reproduire le son de ses aînés; il les a intégrés. Ces influences fonctionnent moins comme des références que comme un héritage, un ADN musical profondément inscrit dans les compositions. Loin de diluer sa voix, elles lui permettent au contraire de plonger plus profondément dans son propre univers. Dès les premières mesures, deux éléments s’imposent avec évidence: un son immédiatement identifiable et un ensemble de compositions véritablement singulières, rétives à la nostalgie comme à l’imitation.
L’ossature rythmique correspond à ce que l’on est en droit d’attendre d’un grand disque de jazz fusion mature : souple, intelligente, élastique. Au-dessus de ce socle, le saxophone de Keller endosse le rôle du narrateur. Son phrasé se déploie comme un récit vécu, donnant l’impression d’années de scène condensées en musique. Rien d’étonnant à cela. Au fil du temps, Keller est devenu une figure incontournable de la scène musicale de Los Angeles, se produisant et enregistrant avec des artistes aussi variés et respectés que Christopher Cross, Bill Holman, Johnny Mandel ou encore Vinnie Colaiuta. Sa polyvalence l’a également conduit à être un arrangeur de cuivres très sollicité et un musicien de tournée recherché, de Danny Seraphine’s CTA à Groove Junkies, en passant par les tournées de Frankie Valli. À cela s’ajoutent des scènes partagées avec Barry Manilow, Natalie Cole, Jon Secada, The Temptations, The Four Tops et même le London Symphony Orchestra. On comprend alors Keller non seulement comme un sideman d’exception, mais comme un véritable trait d’union, un musicien capable de circuler entre plusieurs langages sans jamais perdre son centre.
Cette capacité d’adaptation se retrouve également dans son travail d’enseignant à l’université du Nevada. On imagine sans peine le privilège qu’il y a à étudier auprès d’un musicien capable de naviguer entre les styles sans renoncer à son identité. Chez Keller, l’enseignement ne semble pas relever d’une transmission figée, mais d’un échange permanent. Il lui permet de rester en prise avec des générations plus jeunes, nourries de références multiples, mouvantes, issues d’un paysage culturel différent. En retour, sa propre musique demeure alerte, poreuse et vivante.
Heroes se déploie comme un film soigneusement construit ou un roman au rythme maîtrisé, passant de scène en scène avec ce sentiment d’espace et de progression. Par moments, la musique devient pastorale, presque bucolique, empreinte de poésie et de retenue. Puis, sans prévenir, l’auditeur est entraîné ailleurs, projeté dans de nouveaux territoires. Il m’a fallu de nombreuses écoutes, près d’une dizaine, pour en saisir pleinement l’architecture. Les compositions sont complexes, mais mises en lumière par des arrangements discrets et d’une grande efficacité, qui ne cherchent jamais à s’imposer. La voix de chaque musicien reste perceptible, preuve de l’attention de Keller en tant que leader: il maintient le cap de sa vision tout en laissant à ses partenaires un large espace de création. C’est précisément cette générosité qui confère à l’album son pouvoir de renouvellement.
Sur le plan émotionnel, certaines séquences évoquent l’esprit de Joe Zawinul, notamment sur «Subterraneous». Mais là encore, il ne s’agit jamais d’imitation. À l’écoute attentive, on perçoit aussi l’ombre de Miles Davis, non comme un écho, mais comme une présence. Le résultat est une musique à la fois élégante et profondément habitée. Heroes nous rappelle que les artistes les plus convaincants sont ceux qui portent leur passé non comme un fardeau, mais comme une force motrice. Les héros de Rick Keller ne sont plus derrière lui: ils vivent désormais au cœur de sa musique, transformés, avec discrétion et assurance, en quelque chose de résolument personnel.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, December 19th 2025
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Track Listing :
For Pat
Ahead of the Curve
Hope
Subterraneous
Slow it Down
Tell Me Now
Us Against the World
Distant Passage
Heartbeat
Playing
Ackward Adolescence
Fearless
Complexity
Hymn
All music composed by Richard H Keller Jr ©2025 Saxsonic Music
Except Us Against The World Co composed by Richard H Keller Jr ©2025 Saxsonic Music and Carmen A Grillo ©2025 Big Surprise Music
Musicians:
Rick Keller: Saxes Flute Composition, Mixing, Keyboard and perc. programming
Trumpet: Ramiro Nasello, Danny Falcone, Gil Kaupp, Evan Taylor
Vocals: Joseph Ott, Gary Fowler, Alli Starr, Matt Seward, Carmen Grillo (Co Composer UAW)
Keyboards: Dave Siegel, Bill Zappia
Guitars: Camilo Velandia, Sean Carbone, Steven Lee, Carmen Grillo
Vibraphone: Nick Mancini
Bass: John Belzaguy, Alex Bailey, Eric England, Alfredo Lopez, Dan Lutz, Dave Ostrem
Percussion: Tim Sellars featured percussionist on Cycle of Life, James Whiting (and vibraphone)
Drums: Andy Sanesi, Alex Bailey, Jakubu Griffin
Audio Engineers:
Chuck Foley, GIl Kaupp, Sam Friend, Carmen Grillo
Recorded at UNLV recording studios Las Vegas, Nevada Nov 2024 -May 2025
Additional tech staff: Arthur Chivas and Logan Barrow
All songs written by Richard Keller ©Saxsonic Music 2025 ASCAP except Us Against the World co written by Carmen Grillo ©Big Surprise Music BMI
Executive Producer Mark Dobronski
Additional co producers: Steve Arnold and Frank Dileonardo