RICCI / KROWN – City> Country> City

Gulf Coast Records
Funky Jazz
RICCI / KROWN - City> Country> City

Sur le papier, l’accolade de ces deux noms prête déjà à saliver. Jason Ricci, l’un des plus fabuleux harmonicistes apparus depuis un quart de siècle, en est certes aussi l’un des plus controversés. Et ce, non pas pour des arguments strictement musicaux (plan sur lequel on aurait mauvaise grâce de le critiquer), mais en raison de sa vie personnelle. Fils d’un politicien et homme d’affaires renommé, cet enfant terrible (combien sont-ils à avoir débuté cet instrument au sein d’un groupe punk?), né et élevé à Portland, commença par remporter à Memphis en 1995 le concours de la Sonny Boy Blues Society. Il n’avait que 21 ans, et enregistra son premier album dans la foulée. S’acoquinant sur place avec David Malone Kimbrough (le propre fils de Junior), il ne tarda pas à plonger pour consommation de substances addictives, et passa en conséquence un an derrière les barreaux. À sa sortie, il s’associa un temps avec le grand Keith Brown, et remporta cette fois le concours d’harmonica organisé par Mars National, avant de former son propre groupe, sardoniquement intitulé Jason Ricci & New Blood. Huit albums et maintes péripéties plus tard, il atterrit récemment à la Nouvelle-Orléans, dans le but déclaré de s’y immerger à la source de la plupart des musiques afro-américaines. Quant au claviériste local Joe Krown, son curriculum aligne pas moins de neuf albums en tant que leader, auxquels on se doit d’ajouter ceux qu’il enregistra auprès de pointures telles que Luther ‘Guitar Jr’ Johnson, Bobby Charles, Kid Ramos, et Kenny Wayne Shepherd, sans oublier la demi-douzaine qu’il réalisa avec le regretté Clarence ‘Gatemouth’ Brown. Comme Montaigne et La Boétie, Krown et Ricci semblaient destinés à se rencontrer, puis à s’entendre et à s’associer. C’est du moins l’impression que suscite l’écoute de leur première collaboration enregistrée, et c’est sans doute cette intuition qui incita Mike Zito (que l’on ne présente plus) à les signer sur le label qu’il vient de fonder. Avec le batteur Doug Belote, ils rénovent la formule éculée du Blues Organ Trio (initiée par Jimmy Smith, Jimmy McGriff et Brother Jack McDuff, et perpétuée depuis par des cadors tels que Joey DeFrancesco ou Tony Zamagni), en y substituant simplement l’harmonica à la guitare ou à la basse. Dès le rumba beat mâtiné de funk de la plage titulaire (une cover du War de Lee Oskar et consorts), on se trouve en territoire de connaissance, entre Lalo Schifrin et les Meters. Avec les effets que celui-ci lui applique, l’harmonica de Jason démontre ici toute l’étendue de ses possibilités: tandis que ses comparses cuisinent en salle des machines, il cite “Eleanor Rigby” sur la coda de son solo, avant que les shuffles “Down N’ Dirty” et “Down At The Juke” ne nous mènent dans ces back-alleys où le B3 de Krown déploie tout le groove que recèle cet instrument à cabine Leslie. Pour ne pas être en reste, Ricci y délivre de ces soli acrobatiques et virtuoses dont trois décennies à remuer les foules lui ont livré les secrets. Et vous voici soudain piégé, autant à leur merci que si vous vous trouviez au premier rang du club auquel ils boutaient le feu hier soir: ces trois mousquetaires ne font en effet pas de quartier, et la première plage chantée achève de vous cueillir par le collet. Avec son traînant backbeat, ce “Badger The Witness” chanté par Jason évoque ainsi autant Dr. John que le Tom Waits de “Heart Attack & Wine”. Les Crusaders et le funky guitar master Grant Green figurent également au menu de nos larrons, comme en attestent leurs reprises des instrumentaux “My Mama Told Me So” et “Upshot” de ces deux derniers. Le mode funky sied particulièrement à la martingale que déploie le trio à chaque titre. Ainsi du bien nommé “Feel Good Funk” (où les attaques en vrille de l’harmo font écho au break-beat qu’y assènent l’irrépressible Belote et le jubilatoire Krown). Ils reprennent encore le “Drifting Blues” de Charles Brown (dans une version épique rappelant celle du Butterfield Blues Band, les cuivres en moins), ainsi que “The Jimmy Smith Strut” de Taj Mahal, le “Just A Playboy” de Rice Miller et Don Robey (traité en piano rumba façon Professor Longhair), pour conclure sur une reprise instrumentale et funky en diable du “Ode To Billy Joe” que popularisa la grande Bobbie Gentry. Voguant parfois aux confins de ce que l’on appelait naguère encore l’acid jazz (cf. le James Taylor Quartet), un disque à la fois hors du temps et de plain pied dans le sien: attention, généreuse tuerie!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, September 30th 2021

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