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La flamme tranquille de Rez Abbasi: Une œuvre contemplative née de la richesse des métissages culturels.
Dans le paysage en perpétuelle évolution du jazz contemporain, peu de forces ont autant façonné sa trajectoire que le métissage culturel. Ce genre musical, né du mouvement diasporique, de la résistance et de la reinvention, a toujours accueilli avec ferveur la rencontre entre traditions et expérimentations. Parmi les artistes qui incarnent aujourd’hui avec le plus d’éclat cette dynamique, Rez Abbasi, guitariste et compositeur américano-pakistanais, s’impose comme une figure incontournable. Son nouvel album en est une éclatante démonstration: la fusion des racines culturelles y produit une musique à la fois novatrice, profonde et d’une grande puissance artistique.
Lauréat de la bourse Guggenheim en 2021 pour la composition, désigné “meilleur guitariste prometteur” dans le sondage DownBeat Critics de 2013, Abbasi s’impose comme une voix singulière dans l’univers du jazz, partageant aujourd’hui les honneurs avec des figures telles que Bill Frisell ou Pat Metheny. Mais plutôt que de suivre leurs sillons esthétiques, Abbasi trace son propre chemin. Sa musique ne fait pas appel à des mélodies orientalisantes pour évoquer ses origines pakistanaises. C’est par le prisme du rythme, de la texture, et plus particulièrement par l’usage subtil des percussions, que ses racines se révèlent.
Ce choix artistique prend tout son sens dans son dernier album, le troisième de cette formation, où il retrouve le vibraphoniste Bill Ware, le contrebassiste Stephan Crump et le batteur Eric McPherson. Ensemble, ils avaient déjà façonné une esthétique acoustique intime sur Natural Selection et Intents and Purposes. Cette fois, la formation s’enrichit du maître percussionniste Hasan Bakr, porteur de l’héritage Gullah-Geechee, dont les rythmes profonds ajoutent de nouvelles textures et nourrissent des interactions inédites.
Mais les percussions ne sont pas ici de simples ornements, elles forment un noyau dialogique qui transforme les compositions d’Abbasi de l’intérieur. «Cette fois, l’ajout d’improvisations de percussions au groupe a donné une nouvelle dimension à mes morceaux. J’ai été inspiré par la manière dont Guillermo Franco, l’un des professeurs d’Hasan, jouait avec le groupe de Keith Jarrett», explique Abbasi. Ce travail rythmique devient chez lui un acte de méditation musicale, comme il le confie lui-même: «La méditation m’aide à m’aligner sur la paix qui naît de la libération des désirs perpétuels et du conditionnement personnel. Lorsque j’atteins cet espace, il ne reste souvent que le son.»
Et c’est bien le son, plus que la technique, qui est au cœur de cet album. Il s’en dégage un véritable sens narratif, presque cinématographique. Chaque morceau semble inspiré d’un moment précis ou d’un état de conscience. Là où un artiste comme Rudresh Mahanthappa explore une forme d’agressivité musicale assumée, Abbasi opte pour l’écoute de son environnement, développant une esthétique contemplative qui donne naissance à un album à la fois sobre, sophistiqué et impressionnant. Il y renoue avec sa guitare acoustique, dans une volonté de retrouver l’intimité de ses débuts, tout en la nourrissant d’années d’expériences musicales diverses.
Et quelles expériences. En plus de 25 années passées à New York, Abbasi a collaboré avec une multitude d’artistes venus d’univers radicalement différents : Peter Erskine, Kenny Werner, Barre Phillips, Tim Berne, Michael Formanek, Billy Hart, Gary Thomas, Dave Douglas, Rudresh Mahanthappa, Mike Clark, Tim Hagans, John Beasley, Ronu Majumdar, Kadri Gopalnath, Vishwa Mohan Bhatt, Vijay Iyer, Marilyn Crispell, Greg Osby, Howard Levy… Autant de collaborations qui ont nourri son imaginaire et sa sensibilité de compositeur.
Et pourtant, malgré ce parcours impressionnant, Rez Abbasi reste d’une grande modestie. Son dernier opus n’est pas une déclaration tonitruante mais une invitation: à écouter profondément, à ressentir l’espace, à percevoir les fils entrelacés des traditions sud-asiatiques, afro-américaines et jazzistiques non pas comme des éléments distincts mais comme une seule et même trame musicale. «L’utilisation de l’espace par Eric complète à merveille le sens rythmique d’Hasan. Le son de Bill au vibraphone est unique. Et la présence de Stephan à la basse est imposante. Nous avons capté quelque chose de vraiment spécial sur ce disque», confie-t-il.
Il y a dans cet album une forme de sagesse musicale, un développement poétique qui s’impose sans violence. Les compositions sont architecturées de manière complexe, mais elles conservent toujours une humanité, une élégance et une finesse rares. Abbasi y conjugue grandeur et délicatesse, profondeur et légèreté, pour créer une œuvre qui semble s’adresser autant à l’esprit qu’au cœur.
À l’heure où la musique est trop souvent soumise à la dictature de l’instantanéité et du spectaculaire, Rez Abbasi livre ici un disque à contre-courant, un album qui pense, qui respire, et surtout qui écoute. Une œuvre profondément inspirée, née de la rencontre de cultures vécues, et non surjouées. Un modèle d’équilibre entre réflexion et expression, entre l’intime et l’universel.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, July 16th 2025
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Musicians :
Rez Abbasi – acoustic guitars, composer, producer
Bill Ware – vibraphone
Stephan Crump – acoustic bass
Eric McPherson – drums
Hasan Bakr – percussion
Tracklist :
Presence
You Are
Questar
Folk’s Song
Spin Dream
Lonnie’s Lament
Meet the Moment
Purity
ALBUM CREDITS:
Recording Studio – Samurai Hotel Studio – March 20–21, 2024
Engineered by Michael Marciano
Mixed by Michael Marciano
Mastered by Gene Paul
Producer – Rez Abbasi
Executive Producer – Michael Janisch
Photography – Kiran Ahluwalia
Original Artwork – Tapa Tapatim
Graphic Design – Hugo Piper