REDDOG AND FRIENDS – Booze, Blues And Southern Grooves

Survival South Records
Soul blues
REDDOG AND FRIENDS - Booze, Blues And Southern Grooves

Muscle Shoals. Si ce nom n’évoque hélas déjà plus grand chose aux moins de cinquante ans, il résonne aux tympans de leurs aînés comme celui de la Mecque à ceux des Musulmans. En effet, c’est depuis les studios FAME de ce bled d’Alabama que nous parvint le “You Better Move On” d’Arthur Alexander, dont les Rolling Stones firent leur miel sur leur premier EP de janvier 1964. Suivirent “Steal Away” de Jimmy Hugues, puis, surtout, “When A Man Loves A Woman” par Percy Sledge. Et les oreilles de Jerry Wexler s’ouvrirent alors à ce sweet southern sound, y décelant la formule magique qui ouvrait à des musiciens pourtant Blancs l’accès au tréfonds de l’âme noire. Le vice-président d’Atlantic Records y dépêcha successivement Wilson Pickett, Clarence Carter, Arthur Conley et Aretha Franklin, afin qu’ils puissent bénéficier du climat qu’y dispensaient les requins du cru. Stax ne tarda pas à leur emboîter le pas, et l’on y dénombre ainsi quelques sessions notoires d’Eddie Floyd et des Staples Singers. Composé de Barry Beckett (claviers), Roger Hawkins (drums), David Hood (bass) et Jimmy Johnson (guitare), l’orchestre maison s’agrémentait, selon les besoins, de supplétifs aussi cruciaux que Duane Allman, Eddie Hinton ou Clayton Ivey. Ce sont les claviers de ce dernier qui incitèrent le guitariste floridien JK Higgins (alias Reddog) à solliciter le légendaire Johnny Sandlin (talent scout et producteur, entre autres figures tutélaires, de ce Hourglass qui préfigurait l’Allman Brothers Band) pour produire cet enregistrement. Invitant Reddog dans son propre studio (Duck Tape à Decatur, Alabama), le vénérable sachem y accoucha de ses ultimes mixes avant de replier les gaules. Après une double introduction où se succèdent churchy gospel (“Love, You’ve Got To Spread The Word”) et groovy funk (“The Blues Will Get You Everytime”), le lowdown southern blues façon J.J. Cale et Leon Russell fait son entrée en majesté avec l’imparable “Down, Down, Down”, où la Reddog guitar exprime tous les sucs du Sud (évoquant même le Freddie King période Shelter), tandis que l’orgue de Clayton Ivey y rappelle celui du regretté Gregg Allman. Ce southern feel se prolonge avec le non moins funky “She’s A Georgia Peach”, dont l’apport des chœurs féminins de Carla Russell, Mary Mason et Angela Hacker accentue la portée sexy. Il n’est que temps de mentionner la présence du vétéran David Hood, pilier historique des Swampers, dont le jeu de basse illumina tant d’enregistrements historiques (jusqu’au “Traffic On The Road” de 1973, en passant par certains de Joe Cocker, Rod Stewart, Ry Cooder, Linda Ronstadt et… Eddy Mitchell). Les trois plages captées au Duck Tape Studio de Sandlin (ses tout derniers états de service en tant qu’ingénieur du son) revêtent forcément un caractère plus poignant encore, et du gospel “Simple Song” (où la guitare sensible de Reddog donne la réplique à l’orgue et aux choristes) au “Honest Man” qui ferme le ban, la touche légendaire du grand homme irradie cette rondelle. Avec sa slide gouleyante, le southern-shuffle “Searching For Some Soul” ne manquera pas de titiller les fans inconsolables de Duane Allman, tandis que l’ombre des Allman Bros le surplombe de bout en bout. L’âme du Sud nimbe la soul ballad “Why Oh Why Are You Calling Me”, et l’on réalise à quel point cet album de guitariste surdoué s’avère aussi celui d’un chanteur et compositeur de premier rang. Ceci n’empêche pas certains tours de force sur les six cordes, tel l’instrumental “Don’t Muscle That Shuffle”, “Back In The Bottle Again” (avec sa touche Clapton circa “Tulsa Time” et le solo d’orgue de Clayton Ivey), ou le bien intitulé “Old School Blues”. Un album gorgé de soul, comme ces arbres fruitiers mûris au soleil du dessous la Dixie line: accordez vous donc ce plaisir, devenu si rare de nos jours.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, December 14th 2021