Rastko Obradovic – Mandala (FR review)

A.MA Records / A.MA Edizioni – Street Date October 3, 2025
Jazz
Rastko Obradovic – Mandala

Comme beaucoup de nos lecteurs le savent, Antonio Martino a fait de son label A.MA Records une véritable pépinière du jazz européen. Son goût pour les artistes est aussi sûr qu’audacieux, et reflète une tradition continentale qui, à l’image de son pendant américain, vit de multiplicité, multiplicité des sources, des voix et des idées qui s’entrechoquent et se réinventent sans cesse. C’est dans cet esprit que le saxophoniste serbe Rastko Obradovic se révèle avec Mandala, son premier album en tant que leader, un pas décisif vers la scène internationale.

Obradovic est loin d’être un inconnu. Dans son pays, il occupe déjà un poste de premier plan comme premier saxophoniste alto du prestigieux Big Band de la Radio-Télévision de Serbie, fonction qui lui confère non seulement une reconnaissance institutionnelle, mais aussi une plateforme pour collaborer avec des musiciens de premier plan. Son parcours inclut des projets avec le maître tunisien du oud Dhafer Youssef, l’innovateur russe du cor Arkady Shilkloper, le pianiste Bojan Z, le claviériste Vasil Hadzimanov, le contrebassiste Nenad Vasilic et la joueuse de sitar Sudeshna Bhattacharya. Avant Mandala, il s’est illustré comme sideman sur plusieurs productions d’A.MA Records, de la poésie intimiste de Sanja Markovic et Irina Pavlovic aux explorations modernistes du Shijuka Quintet et de Milos Covovic. Chacune de ces expériences a constitué un tremplin, le préparant à affirmer pleinement sa vision personnelle.

Cette vision n’a rien d’imité. Si les traditions musicales serbes affleurent parfois à l’arrière-plan, Mandala ne s’appuie jamais sur des marqueurs folkloriques pour affirmer son identité. Obradovic traite ces influences comme des matières premières, des couleurs dans une palette élargie, plutôt que comme des références figées. Son langage est celui de son parcours: une synthèse d’une solide formation classique, d’une immersion profonde dans le jazz moderne, et d’une quête incessante de nouvelles formes d’expression. Le résultat est une musique résolument contemporaine et cosmopolite, parfois si affranchie de toute géographie qu’on pourrait la croire américaine, jusqu’à ce qu’une inflexion mélodique ou un accent rythmique vienne rappeler ses racines européennes.

Un premier album révèle souvent la personnalité d’un musicien, et Obradovic a choisi l’ambition plutôt que la facilité. Loin de se contenter d’une accessibilité immédiate, il propose des compositions d’une grande complexité, qui demandent une écoute attentive et révèlent autant ses connaissances de la musique classique que son immersion dans le jazz. C’est particulièrement évident dans la suite en deux parties The Prisoner and the Soldier, dont l’atmosphère tendue et l’arc dramatique semblent faire écho aux inquiétudes actuelles de l’Europe. Qu’il s’agisse ou non d’une déclaration politique délibérée, ces morceaux résonnent dans un contexte où l’agression russe a profondément déstabilisé le continent et fait resurgir la crainte d’un conflit plus large.

Ce lien n’est pas anodin. Le jazz a toujours été en prise avec l’urgence de son temps — qu’il s’agisse des États-Unis, où il a accompagné les luttes pour les droits civiques, ou de l’Europe, où il n’a cessé d’absorber une histoire tourmentée. Obradovic s’inscrit dans cette lignée, non pas comme artiste militant, mais comme compositeur-conteur dont la musique porte une poésie contemporaine, oscillant entre lumière et ombre, urgence et sérénité. Le choix du quartet — format volontairement épuré, lui donne toute latitude pour s’affirmer à la fois comme soliste et arrangeur. Ici, pas de démonstration gratuite, pas d’effets appuyés: tout repose sur la précision, la clarté et la maîtrise émotionnelle.

Ce qui distingue Mandala, au-delà de son exécution, c’est son universalité. C’est une musique qui traverse les frontières, capable de toucher à la fois les amateurs de jazz et ceux qui se laissent guider par la puissance expressive des sons façonnés avec intention. Pour Obradovic, l’album marque un moment fondateur, celui où un musicien respecté en tant que sideman affirme enfin sa voix singulière en tant que leader. Pour l’auditeur, c’est une invitation à entrer dans le récit toujours mouvant du jazz européen, où racines locales et visions globales continuent de redessiner les contours du genre.

En ce sens, Mandala est plus qu’un premier disque. C’est une véritable déclaration d’intention,  non seulement pour Obradovic lui-même, mais aussi pour la scène serbe qu’il incarne: une communauté de jazz vivante, trop souvent ignorée, mais dont les contributions méritent de s’inscrire pleinement sur la scène internationale.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, September 30th 2025

Follow PARIS-MOVE on X

::::::::::::::::::::::::

To buy this album

on Linkedin

Musicians:
Rastko Obradovic: Tenor Saxophone
Vladan Veljkovic: Piano / Bass Synt
Aleksandar Petrovic: Guitar
Nikola Banovic: Drums