Blues-Rock |
Le Falstaff du rock n’ funk, le rhino féroce du shuffle, dont la voracité pantagruélique l’a déjà mené à régurgiter jusqu’à 35 albums en moins de trois décennies, est de retour. Et il n’est pas content (comme l’énonçait la publicité pour King Kong 2). Car en dépit d’un tempérament aussi volcanique qu’irascible, le dénommé Théodore Joseph Horowitz s’est également révélé un colosse aux pieds d’argile. Ces derniers temps, son divorce d’avec la mère de ses jumelles, ainsi que la progression préoccupante d’un diabète invalidant, l’avaient privé d’une bonne part de sa pugnacité. Le géant du Bronx ne montait plus guère sur son trône (la scène) qu’en s’aidant d’une canne, et tandis que la plupart des héros de son rock n’ roll circus fantasmé les utilisaient à des fins moins posologiques, quand il en était réduit à user d’une seringue, elle ne diffusait plus que de l’insuline… Et que fait un bluesman (fût-il seulement revendiqué, selon certains puristes), quand il a le blues? Gagné (même si je vous ai aidé): il le joue, pardi! Et c’est précisément ce qu’il démontre dès la plage d’ouverture, “The Flavor Is In The Fat” (aux lyrics à l’ironie aussi… mordante que ceux d’un Willie Dixon écrivant son propre “300 Pounds” pour Howlin’ Wolf). En l’occurrence, on a plutôt l’impression d’entendre un démarquage assumé du fameux “I’m Ready” que le même Dixon offrit jadis à Muddy Waters. La plage titulaire lorgne pour sa part vers le Canned Heat des eighties (dont le chanteur arborait comme par hasard le même tour de taille), et l’on y mesure avec soulagement que l’arthrite n’a pas encore gagné ses phalanges (notez que Popa franchira sa soixantième année dans moins de trois mois). “Buyer Beware” est un irrésistible jump-swing aux lyrics dignes du Bo Diddley de “Can’t Judge A Book”. La veine bluesy se prolonge avec le shuffle slidé à chaud “It Ain’t Nothing”, zébré de breaks et choruses incandescents façon Allmans. Il faut préciser que le Pops assure les parties de batterie sur plus de la moitié des 15 titres ici proposés, et c’est notamment le cas sur le latino-pop “Let Love Free The Day”, avec sa guitare aux relents californiens sunshine (comme l’instrumental santanien “Gordito”). Dommage toutefois qu’il se soit senti contraint d’y ajouter ce synthé zinzinant. Le fantôme d’Hendrix n’est jamais loin quand Chubby investit un studio, et cette fois, c’est “If You’re Looking For Trouble” qui s’y colle (pyrotechnie à l’appui). Qui aurait soupçonné que (comme Jimi), sommeillait en ce brave Ted un fan de Curtis Mayfield et de Sam Cooke? Le quasi-gospel “The Best Is Yet To Come” sonne comme un cousin germain du vénérable “People Get Ready”, et même si les backing vocals qu’il y assure lui-même ne valent pas ceux des Impressions, la performance fait amplement la farce, avec un Chubby soul drummer au poil. Le sumo-shuffle ne pouvait manquer de reprendre ses droits, avec la rodomontade “I’m The Beast From The East”, aussi graveleux et poisseux que le ZZ Top mal dégrossi des origines (le seul digne d’intérêt, si vous voulez mon avis), et Billy Gibbons opinera sans doute du chef. Le reggae “Enough Is Enough” reprend le flambeau du regretté Peter Tosh, pour le brandir à la face contrite de l’internationale impérialiste. Aucun rouquin clivant n’y est nommément visé, mais on n’en saisit pas moins le message. Entre Don Covay et Bobby Womack, “More Time Making Love” traduit ce souhait en mode vintage soul, avec un solo de guitare aussi concis qu’incendiaire. En vieillissant, Popa aurait-il enfin saisi le sens de l’adage “less is more”? Voici en tout cas un titre dont Peter Wolf ou Huey Lewis auraient pu faire un hit il y a quarante ans, mais le jump “Why You Wanna Bite My Bones” ramène le jeu au centre de l’arène. On ignore encore trop souvent que le Chub sait aussi tâter du jazz, et “Lost Again” rappelle à bon entendeur tout ce que la guitare électrifiée doit à des stylistes comme Wes Montgomery et Kenny Burrell. Ce disque se referme sur une savoureuse adpatation façon G-Love du “Kiss” de Prince. La sagesse populaire prétend que comme le vin, le bluesman ne révèle ses meilleurs sucs qu’après maturation. Cet aphorisme semble profiter au delà de toute attente à de prétendus hérétiques tels que Popa Chubby (au point que l’on en viendrait presque à déplorer la disparition prématurée de Gary Moore). Diagnostic et prescription: poursuivre le traitement si les symptômes persistent, sauf contre-indication. Un Chubby qui compense ici en substance ce qu’il concède en sobriété.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, January 11th 2020
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Le Theodore Horowitz nous revient avec une galette qui sent la dynamite et le Blues Rock bien gras comme on l’aime! Fine gâchette, il sait faire siffler les notes à nos oreilles avec dextérité et habilité. Et il a particulièrement envie qu’on l’entende puisqu’il fête aujourd’hui ses 30 ans de carrière… et son trente cinquième album! C’est parce qu’il privilégie l’efficacité qu’il enchaîne tout d’abord une suite de 3 morceaux courts de moins de 3 minutes en moyenne et alterne ensuite mélodies et morceaux énergiques. Entre rage de vivre chaque jour comme si c’était le dernier et sagesse venue avec l’âge? On peut dire qu’après plus de 300 morceaux composés il reste suffisamment de niaque à Popa pour qu’il puisse encore en écrire de très bons. Sur cet opus, 15 titres dont 13 compositions personnelles et 2 reprises: I’d Rather Be Blind de Leon Russel et Kiss de Prince. Multi-instrumentiste il a pratiquement enregistré les titres seul, à la maison. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, les aficionados et autres blues-mélomanes remarqueront que cette galette sort sous le label Dixiefrog! Cela faisait 5 ans que Popa commettait quelques infidélités avec cette maison de disques, mais comme il le dit lui-même “The Best Is Yet To Come”… le meilleur étant à venir, il n’est jamais trop tard pour faire mieux encore!
Dominique Boulay
Paris-Move & Blues Magazine (Fr)
PARIS-MOVE, January 13th 2020