PlainsPeak – Someone to Someone (FR review)

IrabaGAST records – Street Date : August 15, 2025
Jazz
PlainsPeak - Someone to Someone

Jon Irabagon et “PlainsPeak”: un saxophoniste de Chicago épure son langage pour mieux embrasser l’infini.

Saxophoniste et compositeur au parcours aussi atypique qu’exigeant, Jon Irabagon présente ici un nouveau quartet qui se distingue par sa clarté, sa sobriété et une intention parfaitement affirmée. Originaire de Chicago, Irabagon s’était récemment illustré avec Server Farm, une œuvre pour nonette complexe et foisonnante mêlant électronique, intelligence artificielle et architecture musicale avancée (voir la critique ICI). Avec PlainsPeak, il opère un virage radical: retour à l’acoustique, au direct, à l’essence même du son.

Il s’entoure pour cela de trois musiciens du Midwest au talent remarquable: le trompettiste Russ Johnson, le contrebassiste Clark Sommers et le batteur Dana Hall. Ensemble, ils interprètent six compositions originales, auxquelles s’ajoute une septième piste non titrée, d’une dizaine de minutes, qui s’écoute comme un généreux bonus, un épilogue offert au voyage.

Ce disque ne s’adresse pas à l’auditeur distrait. Il exige une écoute attentive, et en retour, délivre une beauté rare, une intelligence musicale qui frappe par sa finesse. Jon Irabagon y trace un sillon singulier, à mi-chemin entre l’héritage du jazz et sa version la plus contemporaine, urbaine et cérébrale. Ici, on s’assoit, on écoute, et l’on s’illumine devant tant de justesse.

Mais PlainsPeak n’est pas seulement une nouvelle formation: c’est aussi un double retour aux sources pour Irabagon, artiste insatiablement curieux et perpétuellement en quête. C’est d’abord l’occasion de renouer avec Russ Johnson, qui participait déjà au tout premier album du saxophoniste, Outright!, paru en 2008. Alors étudiant fraîchement diplômé de la Juilliard School à New York, Irabagon cherchait alors à se confronter à des musiciens plus aguerris. Il organise des sessions hebdomadaires avec Johnson et la pianiste Kris Davis, semant les graines d’une collaboration au long cours.

Dans les années 2010, Russ Johnson accepte un poste d’enseignant dans le Wisconsin et s’impose rapidement comme figure centrale de la scène des musiques improvisées de Chicago. Un jour, Irabagon ressent l’appel du retour. «Quand j’ai décidé de revenir à Chicago, je savais que je voulais retravailler avec Russ», confie-t-il.

Rien n’est laissé au hasard chez Irabagon. Chacune de ses décisions, du choix de ses collaborateurs à la dénomination du groupe, porte la marque d’une vision réfléchie et d’un engagement artistique profond. PlainsPeak, ce nom en apparence simple, révèle toute la complexité du personnage. D’un côté, il évoque la géographie: «Vu depuis les côtes, Chicago est en plein centre. C’est le sommet des Grandes Plaines.» Mais à la lecture rapide, le nom devient « plain speak », un langage simple, une parole dépouillée. Une métaphore limpide du son brut et direct de ce quartet à deux cuivres, le premier groupe qu’Irabagon forme à Chicago sous son propre nom, et un manifeste de tout ce qu’un tel format peut encore offrir.

Délaissant ses instruments les plus rares et exotiques, saxophone basse, mezzo-soprano ou soprillo au timbre d’oiseau-mouche, il revient ici à l’alto, son premier amour. «J’avais initialement prévu de jouer du ténor, vu la grande tradition des ténors à Chicago. Mais j’avais utilisé l’alto sur ce premier disque avec Russ, et c’est celui qui s’est imposé.»

À travers les morceaux, c’est tout l’univers de Chicago qui se déploie, vu à travers les yeux d’un artiste fasciné par son environnement, attentif au moindre détail. Le deuxième morceau, Buggin’ the Bug, en est l’illustration parfaite. Blues en forme de marche, déjà joué dans d’autres contextes, il prend un nouveau sens à la faveur d’un événement climatique. «L’été dernier, l’invasion des cigales a eu lieu dans le Midwest. Je me suis dit: ‘Attendez une minute… c’est maintenant !’» Le morceau reflète cette énergie bourdonnante et donne toute sa place au tandem Sommers–Hall. «Ce sont les poids lourds de n’importe quelle musique pure à Chicago. Mais je ne les avais pas encore entendus se lâcher comme ça. Je voulais un shuffle, mais avec cette souplesse, cette nonchalance maîtrisée.»

PlainsPeak ne se contente pas d’être un excellent album de jazz: c’est une cartographie sensible, un carnet d’exploration intérieure autant que sonore. Chaque titre devient un lieu, chaque lieu un souvenir filtré par le regard d’un artiste qui n’a jamais cessé d’écouter le monde. Il nous embarque avec lui, nous donne envie de redécouvrir cette ville, ses recoins, son ambiance, ses sons. De piste en piste, on se laisse porter, on s’émerveille, on respire.

Et le plaisir est total.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, July 7th 2025

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Website

Musicians :
Jon Irabagon, saxophone
Russ Johnson, trumpett
Clarke Sommers, bass
Dana Hall, drums

Tracklist :
Someone to Someone
Buggin’ the Bug
Malort is my Shepherd
At What a Price Garlic
Tiny Miracles ( at funeral for a friend)
The Pulsman
Bonus track