Folk |
Premier album pour cette multi-instrumentiste anglaise de 31 ans, originaire de Oswestry (aux abords du Pays-de-Galles). Tandis que sa mère officiait dans un magasin de musique, Phoebe fut habituée toute petite à côtoyer maints instruments à la maison, où son environnement sonore se déployait entre Schubert, Dylan et la musique folklorique bolivienne. Ayant grandi ensuite en Écosse, elle s’y spécialisa dans le folk et les musiques celtiques, et autant à l’aise à la viole et au violon qu’au piano, embrassa d’abord une carrière d’enseignante dans ces disciplines, que ce soit auprès d’institutions telles que le Centre Of Young Musicians et la Royal Academy Of Music de Londres, ou auprès d’organisations non gouvernementales, dont certains projets la menèrent jusqu’à Sao Paulo, auprès de publics défavorisés. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ses tout premiers enregistrements aient figuré (il y aura bientôt cinq ans) une adaptation du “Mississippi Summer” du songwriter et activiste américain Si Kahn. Aux États-Unis, culture folk et politique vont souvent de pair (comme en attestent les parcours respectifs de Woody Guthrie, Odetta et Pete Seeger, ainsi que ceux de nombre de leurs émules tels que Phil Ochs, Harry Chapin et le jeune Bob Dylan). Moins célèbre Outre-Atlantique que ces derniers, Si Kahn n’en demeure pas moins l’un des auteurs-compositeurs-interprètes les plus prolifiques et constants des soixante dernières années. Natif du Sud (et fils de rabbin), il s’investit tout jeune dans le Mouvement Étudiant Pour Les Droits Civiques, avant de poursuivre sa vocation d’agitateur en organisant diverses communautés en lutte (à la manière d’un Saul Alinsky), depuis les filatures de coton de Caroline-du-Nord jusque dans les conserveries de saumon en Alaska, ainsi qu’en manifestant contre la privatisation galopante du système carcéral. Avec une vingtaine d’albums à son actif en près d’un demi-siècle, on ne peut toutefois considérer que ses activités musicales aient pâti de son activisme politique et syndical: elles s’en sont au contraire amplement nourries… C’est à la tête d’un trio dont elle assure, outre les lead vocals, les parties de viole, de violon et de piano (tout en confiant celles de guitare, banjo, bodhran et accordéon à Janos Koolen et celles de basse à Lucas Beukers) qu’elle a enregistré ces 14 plages dans un studio hollandais. Et c’est sur le mode Appalachien du grand Charlie Poole que Phoebe et ses complices débutent, avec un “High On A Mountain With Olla Belle Reed” où l’on mesure d’emblée la maîtrise instrumentale de chacun des protagonistes, ainsi que l’impressionnante technique vocale de Miss Rees, dont l’articulation impeccable se confirme au fil du “In Afghanistan” qui lui succède. C’est au piano qu’elle interprète les désabusés “Detroit December” et “Wigan Pier”, ainsi que les militants “Peace Will Rise” et “Molly In The Mill”, avec pour seul accompagnement la contrebasse de Lucas, avant de reprendre la viole pour le non moins mélancolique “When The War Is Done”. Si son thème demeure intemporel, “Take Back The Night” ne s’ancre pas moins dans la grande tradition du folk Grand-Breton, de Fairport Convention à Steeleye Span. Porté par le banjo de Janos, le fiddle de Phoebe et les chœurs de Sophie Janna, “Moonshine Moon” emprunte des sentiers bluegrass parfumés, tandis que “The Didin Didin” ne prenne la direction de ces joyeux reels gambadant de par les moors de la verte Eirin. “Belle La Follette” célèbre la mémoire d’une suffragette historique, et le “Mississippi Summer” qui scella la rencontre de Phoebe et Si redessine les cieux arides de ce Delta où souffrirent en pure perte tant d’esclaves et de métayers. “Freedom Is A Constant Song” et “People like You” concluent cette brillante moisson par de légitimes professions de foi en la résilience des opprimés, ainsi que l’esprit de résistance de ceux qui épousent leur cause. Aussi varié que puissamment émouvant, voici assurément l’un des albums folk les plus frais et accomplis parus depuis des mois. Une artiste essentielle à ne plus lâcher, et un grand songwriter à (re)découvrir!
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, April 24th 2024
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