Philippe D’Anière – Pressing

Pressing Editions
Livre
Philippe D’Anière - Pressing

Philippe D’Anière, plus connu jadis sous le pseudonyme de Phil Pressing, en sa qualité de batteur dissipé et excité du célèbre groupe de punk-rock lyonnais Starshooter, a récemment sorti ses mémoires sous le titre d’une sobriété exemplaire: “Pressing”.

Le plus amusant dans cette heureuse initiative littéraire et ce qui me fait doucement me gausser du monde très feutré des lettres de la rive-gauche parisienne, c’est qu’aucun éditeur n’a accepté le manuscrit de Philippe D’Anière. Incroyable! Et aujourd’hui que son bouquin se vend comme des décodeurs de Canal + avant le porno du samedi soir durant la décennie 80, et qu’il compte parmi les meilleures ventes sur Amazon et Gibert St Michel, ces mêmes philistins lui déroulent le tapis rouge et lui font moult révérences obséquieuses, afin qu’il signe un juteux contrat pour que son inattendu best-seller soit enfin en tête de gondole de toutes les officines et pour que ces messieurs du livre s’en mettent plein les poches…
Que nenni ! Punk un jour, punk toujours, et dorénavant D’Anière se passera de ces gougnafiers du verbe qui feraient mieux d’aller vendre des cravates et des chaussettes devant les Galeries Lafayette du boulevard Haussmann plutôt que de faire illusion sous les lambris dorés d’une maison d’éditions, avec un look à la Frédéric Beigbeder.

Comme je l’ai fait pour son et mon ami Patrick Eudeline et son roman “Anoushka 79”, un petit flashback s’impose, afin d’aborder la genèse de cette incroyable épopée au sein du microcosme punk-rock lyonnais et hexagonal, de celui qui allait devenir Phil Pressing, et passer des Beaux-Arts et d’une certaine éducation bourgeoise et voltairienne, à ce mouvement tribal, culturel et cultuel, remake de la révolution rock‘n’twist des sixties, avec d’autres héros, d’autres riffs et d’autres codes, étendards d’une indescriptible utopie collective.

Tandis que ça bouge à Paris avec Métal Urbain, puis Oberkampf, Asphalt Jungle, Shakin’ Street avec la sublime Fabienne Shine et La Souris Déglinguée avec le non moins sublime Tai-Luc, sans occulter le blues dans la langue de Molière de Verbeke et Benoît Blue Boy, tandis que ça bouillonne en Normandie avec Little Bob Story et les Dogs et l’axe Le Havre – Rouen, la Cité des Gaules n’est pas en reste, avec bien entendu Starshooter, emmené par Kent Hutchinson, Jello, Mickey Snack et un certain… Phil Pressing à la batterie et Lyon offrira au public, toute une pléiade de groupes, punk, rock ou new-wave, avec entre autres Factory du très Stonien Yves Matrat, Ganafoul et son boogie-blues à la ZZ Top ou Rory Gallagher, Carte de Séjour, Marie et les Garçons, Killdozer, Electric Callas, L’Affaire Louis Trio, etc…
Qu’ils viennent des quais de la Saône, de la Place Bellecour, de Fourvière, de la Croix-Rousse là-où certains sulfureux concerts se terminaient parfois avec l’intervention de la Croix-Rouge et mercurochrome en abondance, des caves et MJC de Givors, Villeurbanne ou Vénissieux, tous ces groupes lyonnais avaient des choses à revendiquer et leur propre identité.

Très vite, Starshooter en devient le fer de lance et signe chez EMI, major de l’industrie du disque, car chaque label veut son Téléphone, ou bien donner une suite juteuse au phénomène et récidiver avec leurs dernières trouvailles rock. Et les quatre trublions lyonnais n’échappent pas à la règle. Et surtout, que faire à Lyon en 77, à part jouer du rock’n’roll, rejouer l’Equipée Sauvage sans Marlon Brando, entre Saône et Rhône, avec l’envie irrésistible de mettre la ville à feu et à sang, braver les interdits avec le cœur à l’Est d’Eden et la rage d’exister et de vaincre, comme dans un road movie à la Easy Rider de Dennis Hopper. Ou alors, s’orienter vers le football et l’OL, rêve ultime des gamins des Minguettes. Mais hélas, tout le monde n’a pas les pieds de Serge Chiesa, Bernard Lacombe ou Raymond Domenech…

Ainsi, pour bien situer l’époque à Lyon et s’imprégner de l’atmosphère ambiante, je vous renvoie à l’excellent bouquin de Jocelyne Fonlupt-Kilic “Grandir à Lyon dans les années 1960 et 1970” aux éditions Wartberg, qui prouve bien que le rock était bel et bien une échappatoire. Rêve chimérique comme pour ceux qui zonaient à Paris en quête de poussière d’ange, entre Pigalle, les Halles et l’Îlot Chalon, Eudeline et ses british boots Chelsea et ses chemises à jabot façon Marquis de Sade, ou vers les docks embrumés du Havre en lorgnant de l’autre côté de la Manche, là où sévissaient les Clash, Dr Feelgood, Eddie and the Hot Rods, The Jam, Sham 69, UK Subs, etc…

Lyon additionne ses “célébrités”, de naissance ou d’adoption: Edouard Herriot, Michel Noir, Mimie Mathy, Jacques Martin, Bernard Pivot, Antoine de St-Exupéry et surtout monsieur Paul Bocuse, le roi de la gastronomie lyonnaise, de la soupe aux truffes noires, des quenelles de brochet et du tablier de sapeur… Sans oublier bien sûr Starshooter avec Kent, Phil Pressing…
Rapidement, un premier single “Pin-up blonde/ Quelle crise baby” est sur le marché. Fini le lycée St-Exupéry du 4ème arrondissement et place à l’aventure punk-rock!

Le second 45 tours intitulé “Get Baque” et non “Get Back”, est un irrévérencieux pamphlet contre les Beatles et alimentera la controverse. Le disque sera rapidement retiré de la vente par EMI. Suivra ensuite le premier album du groupe, avec des titres très courts et aussi percutants qu’un uppercut asséné par Mike Tyson: “A toute bombe”, “35 tonnes”, “Inoxydable”, “Le poinçonneur des Lilas” de Serge Gainsbourg et surtout “Betsy Party”, qu’on commence à entendre sur les ondes hertziennes et notamment à Europe 1 dans les émissions de François Diwo.
Malheureusement pour la distribution du disque, le label est à la ramasse et n’est absolument pas en parfaite adéquation avec l’engouement médiatique engendré par “Betsy Party”. Malgré la demande, le disque n’est pas dans les bacs. Toujours la malédiction du rock’n’roll qui frappe une nouvelle fois, même en 78!

Trois autres albums de Starshooter suivront, des albums de très bonne facture, qui malgré quelques erreurs de marketing, pochette hideuse et très disco de “Mode”, malgré d’excellents titres comme “Ma vie c’est du cinéma”, Mon père s’appelait Cochran, il est mort le jour où je suis né…, “Congas et Maracas”, etc… et choix douteux et suicidaire d’Etienne Roda-Gil pour écrire des paroles, alors que les quatre joyeux lurons se situaient aux antipodes d’un Julien Clerc ou d’un Pascal Obispo…
Incontestablement, Starshooter aura marqué l’histoire du rock français et se sabordera sans remords ni regrets en 1982.

En 2020, on peut aisément réécouter l’œuvre complète de Starshooter sans craindre l’apoplexie fatale ou l’infarctus du myocarde et sans avoir des envies incontrôlables de lapidation en bonne et due forme, comme dans l’ancien testament, car à l’instar d’un Chiroubles ou d’un Saint-Amour, le punk-rock des lyonnais n’a pas pris une ride et les textes sont toujours d’actualité. Et même s’ils n’avaient pas la virtuosité, ni le talent ou ni le génie d’un Mozart, d’un Vivaldi, d’un Robert Johnson, d’un Eddie Cochran, d’un Brian Jones ou d’un Jimi Hendrix, la musique spontanée, intègre et authentique de Starshooter, restera gravée dans le marbre du french rock en lettres d’or.

Quant à Philippe D’Anière post “Betsy Party”, de 82 à aujourd’hui, voilà un type au parcours pour le moins atypique, qui ne laissera personne indifférent. Un parcours tellement ahurissant, que l’intéressé a eu l’idée géniale d’en faire un bouquin, ses mémoires en somme…

En effet, son parcours incroyable est bien plus rock’n’roll que lorsqu’il officiait comme batteur d’un groupe à succès. Au sens propre comme au sens figuré, depuis 82, Philippe D’Anière aura puisé dans le mot rock, jusqu’à la dernière goutte de sueur et de sang et lui aura donné toutes ses lettres de noblesse. Dans son étymologie la plus noble. Un parcours rocambolesque, voire shakespearien, une vie brûlée par les deux bouts, mais toujours avec dignité et la peau dure, tannée comme du cuir. Une biographie qui ferait frémir d’effroi les starlettes acnéiques des reality show et les rockers de pacotille qui s’enrhument au moindre coup de vent. Sa vie après Starshooter parait tout droit sortie de la plume de Zola et de son mouvement à la doctrine naturaliste. Sans être au confessionnal chez Mireille Dumas ou dans un speed dating chez Evelyne Thomas, et autres émissions de télé poubelle, à la lecture de son autobiographie ce mec apparait comme un exemple d’intégrité et de sincérité, ayant vécu des galères et autres dramaturgies que même Edmond Rostand n’aurait jamais imaginées et que même Caïn n’aurait pas souhaitées à son frère Abel, sans jamais se plaindre, sans jamais faire pleurer dans les chaumières, le nez dans sa bière, en sortant les kleenex. Jamais dans le misérabilisme. Respect!
Sa vie trépidante ferait presque passer celle de Keith Richards pour la bio d’une sœur carmélite et celle de Lemmy Kilmister pour la bio d’un éleveur de chèvres dans le Larzac.

Exilé en toute illégalité à Los Angeles (Californie) à l’âge de 29 ans après avoir ouvert une bijouterie à Lyon, Philippe D’Anière aura tout connu, une histoire de dingues, digne des meilleurs polars. Dans ce pavé de 382 pages qu’on avale d’un trait sans s’ennuyer une seule seconde, il passe toute sa vie au crible. Sa vie qui pourrait sans conteste être mise en scène par Quentin Tarantino ou Brian De Palma, ressemble à un thriller, sombre, oppressant et poisseux.

Philippe D’Anière aura tout connu, disais-je, le proxénétisme aggravé, le mariage avec une ex péripatéticienne, le suicide de son amour, les violences sous toutes ses formes, les trafics divers et variés, le milieu lyonnais, les gangs de L.A., les mafias, la cocaïne, les femmes les plus sexy et les voyous les plus durs de l’axe Paris-Lyon-Marseille, les fins limiers de la “Mondaine”, les Porsche Carrera, les prisons américaines et mexicaines, les signes ostentatoires et extérieurs de richesse, la dèche, le niveau zéro, la mort, l’argent, beaucoup d’argent, les dollars, beaucoup de dollars, l’alcool, le luxe californien, la luxure californienne, les putes lyonnaises et américaines… Comme le chantait Ian Dury en 77, “Sex and drugs and rock’n’roll”.
De petits jobs à l’ouverture d’un pressing (ça ne s’invente pas!), de la confection de jeans pour aujourd’hui avoir réussi dans le business de la restauration de bateaux à Los Angeles, Philippe D’Anière aurait pu, aurait dû mourir cent fois, d’une balle perdue, d’une overdose, jeté dans un port du Pacifique ou dans la baie de Malibu avec palmes en béton, la gueule ouverte dans les geôles du Texas ou du Mexique, sans l’aide d’un avocat et sans aucune aide consulaire, loin, très loin de la Place Bellecour et de la Croix-Rousse. Le mot rock ne prend-t-il pas ici toute sa splendeur, bien plus qu’à l’époque de Starshooter?
Philippe est un survivant, un miraculé, sans jamais avoir été préalablement en pèlerinage à Lourdes sur les traces de Bernadette Soubirous.

Ce livre, politiquement incorrect, est réservé aux couillus, aux vrais, car dans l’univers de l’auteur, il n’y a pas de place pour les tricheurs, ni pour les usurpateurs. Avec son look de dur à cuire, d’indécrottable rocker, aux antipodes des chanteurs Fabian ou Neil Sedaka, au physique de pizzaïolos, Philippe D’Anière dérange. Ne dites pas que ce garçon était fou, il ne vivait pas comme les autres, c’est tout, et pour quelles raisons étranges, les gens qui pensent autrement, ça nous dérange… Il jouait de la batterie debout, c’est peut-être un détail pour vous, quand les trouillards sont à genoux, il jouait de la batterie debout… Il aurait pu vivre aux Etats-Unis à l’époque de la prohibition, du whisky frelaté, des incorruptibles, Eliot Ness et Al Capone, le flingue bien calé dans le holster et les pompes bicolores, dans les années 1920-1930.

A l’instar de Patrick Eudeline parce qu’il écrit dans L’Incorrect, lorsque je vois que suite à ses chroniques californiennes intitulées “Good Morning les Bolchéviques”, qu’il est injustement fustigé sur Facebook et ailleurs par une poignée d’imbéciles, même pas heureux, qui le comparent à un obscur agent du Maccarthysme adepte de la chasse aux sorcières, à un facho (sans même en connaitre la définition exacte) ou à un membre du Ku Klux Klan sans cagoule, je dis simplement à tous ces crétins, lisez “Pressing” et après, fermez vos gueules et rasez les murs, car vous n’avez pas fait le dixième dans vos pauvres vies sans relief, que ce qu’a vécu et qu’a fait Philippe D’Anière, avant, pendant et surtout après Starshooter, pour survivre. Tout simplement pour survivre en fuyant la monotonie d’une vie, rangé des voitures, avec la Citroën, la femme et les trois gosses, sans oublier le labrador et le gigot d’agneau dominical dans la belle famille. Non, sa vie c’est du cinéma. Mon père s’appelait Cochran… Ce bouquin m’a donné l’envie de partir à Zanzibar et j’entends déjà les Congas & Maracas…
Comme pour “Anoushka 79”, “Pressing” s’avère indispensable! Hasta La Vista, Baby!

Serge SCIBOZ
Paris-Move

PARIS-MOVE, March 8th 2020

::::::::::::::::::::::

“Pressing” est en vente sur Amazon ou directement chez Gibert Musique, 34 boulevard Saint Michel, 75006 Paris.