PHIL MAY & FALLEN ANGELS – Castle / Sanctuary

Rock
PHIL MAY & FALLEN ANGELS - Castle / Sanctuary

Contrairement à ce que s’évertuent à prôner les Chinois, les Bataves et Anne Hidalgo, le vélo n’est absolument pas le moyen de transport le plus sûr au monde. À preuve, cet engin de malheur vient de nous priver coup sur coup de deux des plus vaillants représentants du rhythm n’ blues à l’anglaise: Barrie Masters d’abord (frontman historique d’Eddie & the Hot Rods), et à présent Phil May… Les Rolling Stones haïssaient les Pretty Things. Pire, ils les craignaient. Car en dépit des multiples artifices dont s’avérait capable le roué Andrew Loog Oldham, les Pretties incarnaient, du plus profond de leur attitude, tout ce que les Stones ne pouvaient que prétendre représenter. De véritables voyous, ceux-là: dépravés, aussi prompts à la saoûlographie qu’à la bagarre, et les tifs plus longs encore que ceux de Dave Davies. Quant à leur musique, puisant aux mêmes sources (Chuck Berry, Jimmy Reed, Slim Harpo et Bo Diddley), elle se révélait sous leurs doigts bien plus rêche et sauvage que chez le gang de Dartford. Bled dont était d’ailleurs également issue la paire que formaient Phil May et Dick Taylor. Suprême glaviot à la lippe du Jag et à son sbire aux oreilles décollées, ce même Dick avait figuré dès 1963 au line-up originel des Stones, mais leur avait fait l’injure de les quitter! Guère moins sortables que gérables, les Pretty Things entreprirent de se disloquer dès leur seconde année d’existence. Les hymnes sauvages eurent beau s’amonceler (“Rosalyn”, “Don’t Bring Me Down”, “Midnight To Six Man”, “Buzz The Jerk”, “Come See Me”…), leurs frasques ne plaidaient pas davantage en leur faveur que les erreurs de leur management. À commencer par ce cinglé de Viv Prince, qu’ils élirent pour batteur. Aussi volubile qu’exubérant, son jeu avait beau fasciner un Keith Moon débutant, la compagnie de cet énergumène s’avérait aussi fiable et rassurante que celle d’une fiole de nitroglycérine dans “Le Salaire De La Peur”. Et quelle idée aussi, que de les expédier en Nouvelle-Zélande (dont ils se firent expulser manu militari), alors que le dernier apprenti tourneur ne pouvait ignorer que la clé du marché international se trouvait d’abord aux U.S.A… Dès leur second LP, Prince fut destitué en faveur d’un autre chien fou du nom de Skip Alan, et pour leur troisième effort, seuls Taylor et May subsistaient encore de la formation initiale. Incapables de continuer à fourbir les hits à haute rotation que prodiguaient alors leurs concurrents, ils commencèrent à marquer le pas dès 1967. “Libérés” du contrat qui les liait à leur premier label (après un “Emotions” saccagé par une production inepte), ils embrassèrent le psychédélisme ambiant, et produisirent fin 68 ce que d’aucuns considèrent comme leur sommet, l’ambitieux “opéra-rock” “S.F. Sorrow”. Son échec commercial provoqua le départ d’un Dick Taylor profondément désillusionné. Dès lors pilotés par le triumvirat John Povey-Wally Waller-Phil May, les Pretty Things n’en poursuivirent pas moins leur parcours chaotique, alternant semi-réussites (“Parachute”) et productions alimentaires (les albums incognito pour Dewolfe Music, publiés sous le moniker “Electric Banana”, ou encore ces enregistrements “caprices de riche” avec le tropézien Philippe DeBarge). Fidèles à leur réputation (non usurpée) de totale imprévisibilité, ils saisirent (et dilapidèrent) l’opportunité d’un contrat avec Warner (“Freeway Madness”, un naufrage de plus), avant que la chance ne semblât enfin leur sourire, quand les mégalos de Led Zeppelin les prirent sous leur aile, les signant sur leur propre label (le prémonitoire Swansong). La rançon de ce deal s’avéra bientôt patente: deux albums à la production léchée et trois éreintantes tournées américaines plus tard, Phil May “oublia” malencontreusement de se présenter à l’un de leurs concerts, et l’aberration fut consommée. Viré du groupe dont il demeurait pourtant l’ultime dépositaire, il s’enfonça à son tour dans l’errance et la dépression. Sans label ni contrat, il finit par accepter de se joindre à un conglomérat plus fluctuant encore que celui qu’il venait d’abandonner. Les Fallen Angels portaient bien leur nom: assemblés autour de Mickey Finn (ex-Heavy Metal Kids, et futur partenaire de notre Nino Ferrer national), ces Anges Déchus virent défiler en leurs rangs, de 1976 à 1978, un ex-Humble Pie (Greg Ridley), un ex-Streetwalkers (Brian Johnston) ainsi que l’ex-guitariste gaucher de Frankie Miller (l’excellent Ed Deane) et le batteur de Bees Make Honey. Avec le renfort de ses complices Waller et Povey, Phil May s’employa à sauver une dizaine de titres de ces sessions aléatoires, dont l’unique LP échut en 1978 sur la branche néerlandaise du catalogue Philips. Rien n’y est pourtant déshonorant loin s’en faut: avec leur slide vicieuse, les stoniens “Dogs Of War”, “Girl Like You”, “I Keep On” et “13th Floor Suicide” n’auraient pas déparé les premières productions seventies des Pretties, et Phil May s’y montre remarquablement en voix de bout en bout (l’évocatrice plage éponyme, ainsi que les probants “California”, “Dance Again” et “Cold Wind”). Cette réédition propose en bonus trois titres captés sans May, après son retour au bercail pour une nième mouture des Pretty Things. Inutile de préciser que leur intérêt avoisine celui que l’on peut porter à Them sans Van Morrison. Seul épisode solo d’une carrière qui se déploya sur près de six décennies, cet album mérite d’être porté à l’actif d’un artiste qui marqua indéniablement son époque. Après quatre ultimes livraisons au cours des deux dernières décennies (en comptant le remake de “S.F. Sorrow”, enregistré en 98 avec Arthur Brown et David Gilmour), les Pretty Things (avec un Dick Taylor revenu aux affaires, reconstituant même un temps leur line-up de 66 incorporant Waller, Alan et Povey), firent leurs adieux à l’O2 londonien en décembre 2018. Un dernier album avec Phil May serait imminent, et constituerait donc son épitaphe. Parmi les nombreux avatars de leur discographie parallèle, on conseillera encore les deux Pretty Things/Yardbird Blues Band (avec Jim McCarty, Richard Hite et Studebaker John) ainsi que le “Rockin’ The Garage” des Pretty Things & Friends (soit Taylor et May, entourés des Inmates sans Bill Hurley, mais augmentés de l’ex-Procol Harum Matthew Fisher). Le rock anglais vient assurément de perdre l’un de ses plus valeureux fleurons.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, May 26th 2020

Site web des Pretty Things ICI

The Pretty Things : une dernière interview pour la route, et c’est ICI

Mes héros : les Pretty Things – sur le site Sens Critique, ICI

L’annonce de la mort de Phil May sur le site de la BBC, ICI