Rock |
Une carrière pleine de trous. Et on ne parle pas de ceux qu’il s’infligea en intraveineuse des décennies durant (ni des fosses funéraires qui ponctuèrent son parcours), non. S’il s’agissait d’un CV, on connaît en effet peu d’employeurs qu’il pourrait séduire. Jugez-en: entamée en 1973 au sein des méconnus England’s Glory, la trajectoire de Peter Perrett rebondit ensuite au sein des Only Ones (1976-1982), avant de replonger dans les abysses de l’addiction et de l’oubli. Groupe culte en somme, comme le cataloguèrent les divers labels qui y laissèrent des plumes. Après un bref retour à la surface (façon Nessie) au mitan des nineties à la tête de l’énigmatique The One, petit Pierre mit encore vingt ans à redonner signe de vie, avec “How The West Was Won” en 2017, suivi deux ans plus tard de “Humanworld”, où on le retrouvait étonnamment en verve, entouré de ses fils Jamie et Peter Jr. Mais depuis, comme d’habitude, on n’osait plus guère en attendre davantage, d’autant que son horloge biologique égrenait, peut-être de manière plus pressante que pour nous encore, son funeste compte à rebours. C’est pourquoi l’irruption de ce troisième album du retour nous étonne à nouveau (d’autant qu’il n’a pris “que” cinq ans à confectionner). Et comme si elle allait vraiment mourir cette fois, la mamma, les proches et fils maudits se pressent à son chevet, de Bobby Gillespie à Johnny Marr, en passant par Jim Sclavunos (Bad Seeds) et Carlos O’Connell (guitariste de Fontaines DC), sans oublier bien sûr ses deux fistons légitimes, dont l’aîné produit le tout (à l’exception de trois titres en co-prod avec O’Connell). Peter a toujours eu le sens de la formule. Ainsi, selon le contexte, le titre de ce nouvel opus peut aussi bien se traduire par la toilette mortuaire que par la voirie, et la fournée s’avère copieuse: pas moins de vingt titres d’un coup. S’ouvrant sur le velvetien “I Wanna Go With Dignity” (qui n’aurait pas déparé non plus un lointain LP des Only Ones), le ton y est donné d’emblée, et le cynique “Disinfectant” le confirme : Peter Perret is definitely unrepentant, et s’avère toujours capable de dévider sans complexe ses anecdotes de suicides et d’overdoses, comme feu Lou Reed auquel on le compara souvent. Et ce ne sont pas ces splendides ballades à la “Candy Says” (“Fountain Of You”, “Set The House On Fire”, “There For You”) qui dissiperont le malentendu, non plus que celles qui empiètent sur le registre d’Elliott Murphy et des Stones (le fataliste “Do Not Rescucitate”, ainsi que “World In Chains” et “Solitary Confinement”, avec Marr aux guitares et Rakel Mjöll et Bobby Gillespie aux backing vocals). D’autant que comme chez le barde de New-York, la facétie cabaret n’est jamais bien loin (“Secret Taliban Wife”), et la satire sociale larvée non plus (“Women Gone Bad”), tandis que “Survival Mode” (surf-twist sous écho-delay façon Chris Isaak et Chris Rea) en dit long sur cette forme de résignation qu’amène le grand âge (Peter se trouve engagé dans sa 73ème année, ce que bien peu auraient imaginé le concernant). Impeccable de bout en bout, la lead guitar de Jamie se montre impériale sur l’ironique “Mixed Up Confucius” (à équidistance des fulgurances de Tom Verlaine et d’un Neil Young en furie). Hanté par le spectre de la mort, cet album lui postillonne aussi parfois au nez (comme sur la plage titulaire), mais n’en dresse pas moins le bilan circonstancié d’une existence consumée sans se retourner (le poignant “All That Time”, avec les somptueux arrangements de cordes signés O’Connell). Toujours aussi riches sur le plan littéraire (autre dénominateur commun avec ses modèles), l’intégralité des paroles figure dans le livret, et ce testament apocryphe d’un estropié notoire des plus vaines campagnes du rock n’a sans doute jamais été si bien consigné que dans le brillant “Art Is A Disease”: “Art is a disease that mocks the afflicted” . Mieux encore qu’un late bloomer ou un OK boomer, Peter Perrett se fend au bout de cette set-list d’un classique du niveau inespéré de son antique “Another Girl, Another Planet”: l’imparable “Less Than Nothing”. S’il devait effectivement claquer demain, il nous quitterait assurément la tête haute.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, November 2nd 2024
Follow PARIS-MOVE on X
::::::::::::::::::::::::::