Pete Mills – For The Record (FR review)

Mighty Ernie Records – Street date : Available
Jazz
Pete Mills - For The Record

Parfois, il est salutaire, presque nécessaire, de suspendre le temps présent pour revenir à un jazz dans sa forme la plus classique, la plus épurée. Écouter Pete Mills, c’est renouer avec un langage à la fois intemporel et vibrant. Son dernier projet porte en lui une grâce cinématographique qui évoque d’emblée Henry Mancini, un univers de mélodies finement ciselées porté par la chaleur souple d’un orgue Hammond B3. L’atmosphère est voulue, les textures choisies avec un sens de la continuité, comme si les années 1960 elles-mêmes avaient été invitées à entrer en studio. Ce n’est pas une simple imitation mais un véritable dialogue avec le passé, un exercice d’équilibriste où chaque musicien apporte sa contribution sous forme de compositions originales, révélant une cohésion rare. Les thèmes en eux-mêmes sont plutôt traditionnels, mais ce sont les interprétations, le phrasé, le poids accordé au silence et au swing, qui donnent à l’ensemble sa hauteur.

Pour ceux qui, comme moi, trouvent un réconfort dans ce type de jazz, l’attrait réside justement dans son absence de prétention. Voilà une musique qui ne cherche pas à éblouir par l’excès ni à impressionner par le concept, mais qui séduit par son équilibre, sa sincérité et son artisanat musical. Le son du ténor de Mills, ample et convaincant, confère au quartet une identité claire, enracinée dans la tradition tout en laissant à chacun l’espace pour s’exprimer. Né à Toronto, Mills a été salué à maintes reprises pour son jeu «virtuose», «magnifique» et «polyvalent». David Franklin (JazzTimes) a parlé d’un ténor «percutant», tandis que le Columbus Dispatch a décrit ses compositions comme «impressionnantes, avec des solos qui ouvrent l’oreille… et un son large et riche». Sa discographie témoigne d’une constance artistique rare: For the Record (2025), enregistré avec son B3 Quartet, rejoint des albums antérieurs comme Sweet Shadow (Cellar Live Records, avec Matt Wilson, Pete McCann, Martin Wind et Erik Augis), Fresh Spin (★★★½, DownBeat), Art and Architecture (★★★★, AllMusic Guide), ou encore son premier disque très remarqué, Momentum (COJAZZ Records).

Ce qui frappe dans une formation de ce type, saxophone ténor, orgue, guitare et batterie, c’est la fragilité de l’équilibre. Une telle configuration, à la fois dépouillée et exposée, peut vaciller si elle n’est pas portée par des musiciens d’un très haut niveau. Ici, tout au contraire, chaque morceau montre combien les risques sont transformés en opportunités. L’ensemble convoque la mémoire culturelle d’une époque et la fait résonner dans le présent. Les arrangements respirent, laissent le swing s’installer avec naturel, et invitent l’auditeur dans un espace à la fois nostalgique et vibrant de modernité. À plusieurs reprises, la musique se fait irrésistiblement dansante, taillée aussi bien pour les clubs intimistes que pour les grandes scènes de festival. On y perçoit même par moments des réminiscences de l’époque initiale de Miles Davis – de subtils éclats bebop qui traversent la trame avant de se fondre à nouveau dans l’identité sonore du groupe.

Cet album fourmille de références, mais jamais d’une façon ostentatoire. Mills et ses partenaires sont autant des érudits que des praticiens: ils savent faire vivre cette langue musicale avec intelligence et souplesse. Le déroulé des morceaux lui-même suggère un voyage, une progression à la fois naturelle et construite, rappelant que le jazz, même lorsqu’il s’appuie sur ses idiomes les plus classiques, peut encore avancer. C’est d’ailleurs là l’un des traits fascinants du jazz actuel: sa capacité à laisser coexister plusieurs styles, à les maintenir vivants, et même à les faire fleurir sous la contrainte d’un niveau exigence toujours plus élevé.

Dans une rédaction comme la nôtre, où les albums affluent chaque semaine, un disque comme celui de Pete Mills ne saurait passer inaperçu. Chaque titre a son attrait, son moment de séduction, mais pour moi, c’est “Z is for Zadie” qui retient le plus l’attention. Sa grâce mélodique est indéniable, et il faudrait être d’une obstination extrême pour résister à son charme. Ajoutons à cela une pochette qui plonge elle aussi dans l’esthétique des années 60, en parfaite adéquation avec l’univers sonore qu’elle renferme, et l’on obtient une œuvre où la nostalgie, lorsqu’elle est traitée avec sincérité, devient elle-même une forme d’art.

Écouté en profondeur, ce disque ne laisse pas seulement une impression agréable: il touche, il déplace. Il rappelle combien le passé peut être rendu présent sans ironie, combien le jazz, dans son expression la plus classique, demeure vital en 2025.

Mills et son quartet offrent ici non seulement une musique à admirer, mais une musique dans laquelle on peut se réfugier, un monde sonore qui swingue, respire et persiste, longtemps après la dernière note.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, September 15th 2025

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Website

Musicians:
Pete Mills, tenor saxophone
John Eshelman, Hammon B3 organ
Tom Davis, electric guitar
Zach Compston, drums

Track Listing:
For The Record
The Kid
Bird Lives
Kenny, Ken
Z is for Zadie
Jammy Git
The Visitor
Snap On It
Baby Simon