OHMME – Fantasize Your Ghost

Joyful Noise Recordings / Modulor
Indie rock
OHMME - Fantasize Your Ghost

Comme nos merveilleuses Brigitte nationales, OHMME est le fruit de la vision et de la complicité qu’entretiennent deux amies. Toutes deux pianistes classiques accomplies, Sima Cunningham et Macie Stewart se sont rencontrées au sein de la fertile scène indé actuelle de Chicago. Stewart officiait alors dans un groupe du nom de Kids These Days, avant d’en joindre un autre intitulé Marrow. Réalisant l’harmonie naturelle de leurs voix mêlées, ces demoiselles choisirent de délaisser leurs instruments respectifs pour former plutôt un duo de guitares noisy. Avec le renfort du batteur Matt Carroll (lui aussi issu de Marrow), elles publièrent en 2018 un déroutant premier album qui suscita l’intérêt des circuits alternatifs. Outre celui d’être incompris, le principal péril d’une surprise initiale réside dans l’impossibilité à la réitérer. Conscientes que se répéter n’aboutirait qu’à les affadir, nos pétroleuses de OHMME optent donc ici pour un relatif contrepied, sans renoncer pour autant à une certaine continuité. Tandis que le “Flood Your Gut” introductif mêle lyrics abscons, vocaux séraphiques, et entêtant riff de guitare évoquant la rencontre de Kate Bush et du Bowie de “The Man Who Sold The World”, le furieux “Selling Candy” rappelle ensuite les débordements chaotiques de Nirvana: guitares saturées de larsen et de phasing sur tribal roller-coaster de toms et cymbales crash. Y surfant comme si de rien n’était, les harmonies vocales accentuent l’aspect sucré-salé qui établit la marque de la formation. Plus linéaire sur le plan rythmique, “Ghost” s’avère sans doute la plage la plus radio-friendly du lot, sans se départir pour autant de l’étrangeté originelle de bands tels que les Breeders ou Pavement. L’ombre de la grande Kate Bush réapparaît sur “The Limit”, où transpire de manière quelque peu perverse le background classique des deux égéries. “Spell It Out” adopte la tournure des ritournelles cyniques qu’élaborait John Entwistle au mitan des sixties (ce riff de basse façon “Boris The Spider”, et ces lyrics dressant le constat d’impasse d’une relation). Les filles revendiquent plus avant encore cet héritage classic-pop, sur des titres tels que “Twitch” et “After All”, dont la construction plus ordinaire n’abolit pourtant pas l’originalité. La métrique de “3 2 4 3″ rappelle ainsi celles des teutons fous du Can d'”Ege Bamyasi”, quand ces derniers se plaisaient eux aussi à triturer les sons et les beats sur un format contraint. Comme son titre l’indique, “Some Kind Of Calm” confirme à quel point les timbres célestes de ces jeunes femmes auraient aisément pu épouser le folk west-coast de Laurel Canyon. L’angoissant instrumental bruitiste “Sturgeon Moon” dissipe bien vite ce furtif oasis de volupté, avant que l’idyllique pop standard “After All” ne vienne conclure cette seconde livraison sur une ultime pirouette. Un disque aussi déroutant qu’addictif, tissant de tangentes passerelles entre un passé soigneusement échantillonné, et un futur avidement défriché.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 6th 2020