Noah Garabedian – Quartets And Solos (FR review)

Contagious Music – Street date : September 19, 2025
Jazz
Noah Garabedian - Quartets And Solos

Ombres, lumières et silences: le jazz intellectuel du nouvel album de Garabedian.

De temps à autre paraît un album de jazz qui dépasse le simple cadre de la session d’enregistrement pour se présenter comme une véritable proposition philosophique. Le dernier projet du contrebassiste et compositeur Garabedian appartient à cette catégorie rare: un disque qui se construit dans le contraste, pensé comme une méditation sur l’ombre et la lumière. Le concept, en soi, en dit long sur son ambition: les ombres, incarnées par les solos, projettent leur profondeur et leur densité sur l’éclat des échanges en quartet. C’est une idée audacieuse, presque cérébrale, qui exige de l’auditeur une écoute attentive et une ouverture à un langage résolument contemporain. Cet album n’est pas conçu pour flotter en arrière-plan; il réclame réflexion, et peut-être même abandon.

Pour Garabedian, ce disque parle autant des personnes qui ont façonné son parcours que de sa propre voix de compositeur. Il évoque avec émotion le saxophoniste Dayna Stephens, dont l’influence plane sur cette musique comme une présence tutélaire. «Tout au long de ma vie, il a été un mentor, un professeur, une inspiration, un collègue et un ami», confie Garabedian à propos de Stephens, qu’il a rencontré alors que ce dernier était son moniteur au Feather River Jazz Camp, dans la baie de San Francisco. Ce qui l’impressionne le plus, dit-il, c’est son rapport au silence: «Quand je pense à Dayna au saxophone, je pense à la patience; c’est le roi de l’utilisation du silence en musique et du développement de motifs.»

Ce rôle du silence n’est pas accessoire. Il est au cœur même de l’album, et plus largement de la philosophie créative de Garabedian. Ici, les silences ont la même importance que les notes, rappelant une tradition qui remonte à Purcell, à Satie et à bien d’autres: ce sont eux qui donnent respiration et souffle à l’œuvre. Chaque morceau, sur ce disque, respire à son propre rythme, possède son propre pouls. L’expérience d’écoute devient ainsi à la fois cérébrale et viscérale, une musique qui touche à l’intime, jusque dans les zones les plus profondes de l’âme.

Les rencontres artistiques de Garabedian nourrissent également ce projet. Il se souvient de sa découverte de la pianiste Carmen Staaf au Stanford Jazz Workshop, en 2015, et admire depuis sa capacité à transformer une intention musicale en son. «Elle fait chanter chaque instrument avec expressivité », dit-il. Mais c’est surtout son instinct de compositrice qu’il met en avant : « Elle fait en sorte que tout fonctionne, quoi qu’il arrive musicalement. Dans le chaos le plus dense, elle donne du sens à tout.» Sur l’album, le piano joue effectivement ce rôle d’ancre et de boussole, guidant l’ensemble avec clarté au cœur des complexités harmoniques.

Au centre du travail de Garabedian, on trouve une réflexion sur la tension entre solitude et communauté, un fil rouge qu’il ne cesse de dérouler. «La communauté et la socialisation sont des ingrédients essentiels de la musique, particulièrement de la musique improvisée», explique-t-il. «Mais en vieillissant, j’ai appris à célébrer et à chérir la solitude; à trouver du réconfort dans l’isolement.» Cette dialectique se retrouve dans l’architecture du disque: de larges dialogues collectifs entrecoupés de méditations solitaires, révélant les différentes facettes d’une identité artistique en équilibre.

Cette dualité est précisément ce qui rend l’album fascinant. «La création artistique ne surgit pas de nulle part ; elle naît d’une source profonde, nourrie par la communauté qui vous enseigne, vous alimente et vous soutient», explique Garabedian. «Mais elle dépend aussi de la volonté, la fréquence et la persistance de créer, d’évoluer, de produire.» Le disque incarne cette philosophie, alternant l’exploration collective et l’expression individuelle, pour offrir non seulement une variété sonore mais un véritable dialogue sur l’origine et la persistance de la créativité.

Les solos, précise Garabedian, ne sont pas décoratifs. «Les compositions solo sont très intentionnelles et cohérentes, et chacune a été écrite pour un musicien en particulier», souligne-t-il. «Dayna, Carmen et Jimmy sont tous des musiciens formidables, mais avec les solos j’ai essayé de capter ce qui les rend uniques, de m’appuyer sur leurs singularités. Les solos peuvent être vus comme des amuse-bouches: toujours savoureux, un peu plus courts, un peu moins denses.» Ce sont de véritables portraits miniatures, des instantanés d’individualité enchâssés dans la mosaïque du quartet.

Dès les premières mesures, on sent la volonté de Garabedian de s’effacer, de laisser les autres occuper la lumière, au service de l’architecture globale de l’œuvre. C’est un geste d’humilité, mais aussi de lucidité: celui qui sait que la beauté surgit souvent lorsque l’ego du compositeur s’efface devant la voix collective. Dans un paysage jazzistique parfois dominé par l’urgence et la formule, cet album choisit au contraire la profondeur plutôt que la surface, la substance plutôt que l’apparence.

Il en résulte un disque à la fois moderne et intemporal, une œuvre qui nourrit l’intellect tout en élevant l’esprit. Elle invite à écouter non seulement les notes, mais aussi les silences qui les entourent. Et c’est dans cet espace entre le son et le silence, entre l’ombre et la lumière, que cette musique respire.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, September 3rd 2025

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To buy this album

Website

Musicians:
Noah Garabedian – Bass
Dayna Stephens – Tenor Saxophone and EWI Carmen Staaf – Piano
Jimmy Macbride – Drums
Samuel Adams – synths, effects, programming

Produced, edited, and mixed by Samuel Adams
Mastered by Dayna Stephens
All songs composed by Noah Garabedian except To Speak Or Sing Softly, composed by Samuel Adams.
Recorded at Samurai Hotel Recording Studio by David Stoller, September 15 and 16, 2024.

Track Listing

  1. Welcome Home
  2. Fast Slow
  3. The Most Beautiful One
  4. Late Stage Epiphany
  5. Snap Pop
  6. To Speak or Sing Softly
  7. To Swim Below
  8. Casual Friday
  9. The Mayor of Malibu
  10. To Remain Alive
  11. To Dance Underground
  12. The Hawk
  13. Dogwood

Tour Dates:
Saturday, August 16 – Bar Bayeux, Brooklyn
Thursday, August 21 – Sam First, Los Angeles
Friday, August 22 – The Sound Room, Oakland
Saturday, August 23 – The Palo Alto Arts Center, Palo Alto
Sunday, August 24 – Chez Hanny, South San Francisco
Thursday, October 9 – Close Up, New York City
Friday, October 17 – Rudy’s Jazz Room, Nashville