NINA SIMONE – Nina’s Blues 1959-1962

Frémeaux & Associés / Socadisc
Blues, Jazz
NINA SIMONE

Petite Négrillonne surdouée dans la Caroline du Nord ségrégationniste d’avant-guerre, Eunice Kathleen Waynon y naquit au sein d’une famille pauvre, mais digne. C’est à dire croyante, en dépit d’un environnement où un simple regard pouvait destiner des hommes et femmes de couleur à être brûlés vifs, enchaînés à un pneu de camion, ou pendus à la branche la plus proche (sanctions dont ne semblent pas les avoir encore totalement affranchis maints suprémacistes white trash actuels). Celle qui révait alors de devenir la première concertiste classique noire dut donc, pour faire bouillir la proverbiale marmite, se produire d’abord dans des cabarets interlopes sous un nom d’emprunt… Soit celui sous lequel le monde la connait encore de nos jours. Personnailté complexe (comment y échapper, quand on combine en quelque sorte celles de Jean-Sébastien Bach, Billie Holiday et Lenny Bruce?), elle connut le destin tragique des vraies pasionarias: pauvreté, ascension, activisme et déchéance. Souvent négligés au profit de sa période Philips (à partir de 1964), ses débuts discographiques renvoient pour tout un chacun à son premier (et unique) LP de 1959 pour le label Bethlehem. Hormis le single “Little Girl Blue” et le désormais fameux “My Baby Just Cares For Me”, cette période ne lui valut toutefois guère de succès médiatique. Il faut dire que le second de ces titres (dont elle avait cédé les droits contre une somme dérisoire) ne cartonna réellement qu’un quart de siècle plus tard, quand Ridley Scott l’utilisa en tant que bande son d’une publicité pour le parfum Chanel N°5. Entre Bethlehem et Phillips, la Simone n’en connut pas moins une féconde période transitoire sur le label Colpix, pour lequel elle enregistra notamment les premiers d’une série d’albums live notoires. Si son contrat ne s’y avérait guère plus rémunérateur, elle y conquit cependant l’essentiel à ses yeux: le début d’une relative indépendance artistique. Il est peu dire de préciser que les premières années de son œuvre enregistrée furent abondamment compilées et disséminées (le plus souvent hélas en dépit de la moindre rigueur chronologique ou complétiste). On ne peut donc que féliciter la maison Frémeaux de restituer rien moins que ses sept premiers LPs dans leur ordonnancement originel (quitte à les augmenter de sept plages, alors uniquement parues sur des singles), mais davantage encore, de les assortir d’une remastérisation aux petits oignons, ainsi que des notes érudites d’Olivier Julien. De “Little Girl Blue”, “The Amazing Nina Simone” et “Live At Town Hall” (tous trois parus en 59) aux “Nina Sings Ellington” et “At The Village Gate l” de 1962, en passant par “At Newport” et “Forbidden Fruit” (respectivement de 1960 et 61), c’est la fully-formed Nina qui étincelle déjà ici, au fil d’interprétations fréquemment bouleversantes de standards de Rodgers, Hart & Hammerstein, Gershwin, Cole Porter et autres Cannonball Hadderley. Ses ivoires dégorgent de swing, et son timbre vocal (encore préservé de ses excès futurs) vous retournait alors comme un gant. Il suffit de goûter ses digressions renversantes (les instrumentaux “Good Bait” et “Central Park Blues”, au hasard) pour mesurer à quel point Ray Charles aurait eu du souci à se faire, si Nina avait été promue avec les mêmes égards que lui. Il faut se souvenir que deux jours avant sa mort (dans son refuge français de Carry-Le-Rouet), Nina Simone reçut une distinction du Curtis Institute (le conservatoire supérieur qui lui avait refusé son admission un demi-sècle auparavant). Ce n’était donc pas elle qui était bipolaire, mais bien hélas le monde où elle advint.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, October 22nd 2021

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