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Dans le paysage du jazz contemporain européen, où la retenue est souvent valorisée et où certains musiciens dissimulent parfois leur éclat derrière un voile de froideur nordique, Nils Landgren a toujours fait figure d’exception. Il est l’un de ces rares artistes qui assument la couleur, au sens propre comme au figuré. L’homme au trombone rouge est devenu à la fois un symbole et une présence: immédiatement reconnaissable, chaleureusement accessible, et profondément engagé dans l’art de tisser des liens entre les genres, les continents et les générations. Et pourtant, même ceux qui connaissent son œuvre pourraient être surpris d’apprendre à quel point ses collaborations ont été vastes: d’ABBA à The Crusaders, d’Eddie Harris à Bernard “Pretty” Purdie, de Wyclef Jean à Herbie Hancock. Peu de musiciens de jazz européens vivants peuvent se targuer d’un parcours aussi kaléidoscopique, embrassant autant la musique populaire que les formes improvisées du XXe siècle.
Après des décennies de tournées, de récompenses, de projets multiples, sous son propre nom, comme producteur, mentor, ou au sein de son irrésistible Funk Unit, Landgren revient aujourd’hui dans un écrin que l’on n’aurait pas forcément anticipé. À l’image d’un Frank Sinatra à l’époque de Past, Present, Future, il s’avance non pas entouré d’un petit ensemble jazz, mais accompagné d’un orchestre symphonique complet: le Swedish Radio Symphony Orchestra. Il y a là quelque chose de solennel, presque cérémoniel, comme si l’artiste offrait une perspective panoramique sur les chansons qui ont jalonné son parcours récent, à l’orée d’un anniversaire symbolique.
Et pourtant, malgré la portée émotionnelle du projet, l’enregistrement lui-même n’est pas exempt de défauts. Le mixage, à certains moments, donne l’impression d’une occasion manquée: un son légèrement étouffé, une voix un peu distante, des textures orchestrales qui se fondent parfois en une brume indistincte. On devine à quel point l’album aurait pu gagner en lumière et en transparence sonore grâce à une approche plus audacieuse en matière d’ingénierie. Il est vrai que capter en direct un orchestre tout en conservant la spontanéité du jazz relève de la haute voltige. Au final, cet album ressemble moins à un monument studio qu’à un document vivant: un instantané de Nils Landgren à soixante-dix ans, toujours audacieux, toujours en quête, toujours profondément humain.
Landgren se souvient de ses débuts avec une franchise presque désarmante: «Quand j’étais jeune, je voulais être une pop star… mais une pop star jouant du trombone. Tout le monde me disait: oublie ça, contente-toi de jouer au fond de l’orchestre. Mais c’est quelque chose que je n’aurais jamais pu accepter.» Avec le recul, sa carrière apparaît comme une longue réponse à ce scepticisme initial. Le trombone rouge, le timbre inimitable, cette volonté d’être accessible sans se compromettre: voilà sa réponse.
À l’image du guitariste franco-vietnamien Nguyen Lê, Landgren est devenu l’une des forces vives du label allemand ACT. Ce label s’est imposé au fil du temps comme une véritable institution culturelle, une sorte de contrepoids européen à l’austérité introspective d’ECM, mais avec une palette plus lumineuse, plus audacieuse. Au sein de cet univers, Landgren est à la fois artiste et architecte. Qu’il conçoive ses propres albums ou qu’il accompagne ceux des jeunes musiciens, sa signature artistique est devenue un gage quasi automatique de qualité, de cohérence et de générosité. «Je n’ai pas besoin de saut à l’élastique ni de sports extrêmes», confie-t-il avec un sourire. «Chaque fois que je monte sur scène, c’est comme de l’escalade libre. C’est largement suffisant pour moi.»
C’est sans doute pour cela que les concerts de son soixante-dixième anniversaire s’annoncent comme des réunions de famille plus que comme de solennelles commémorations. La fête commencera le 14 février à l’Elbphilharmonie de Hambourg, l’une des salles les plus emblématiques d’Europe, où Landgren jouera avec son groupe, les Hamburger Symphoniker, et un programme intitulé Love Of My Life. Le 5 mai, la célébration se déplacera à la Philharmonie de Berlin, entouré de ses amis et collaborateurs de longue date: Michael Wollny, Wolfgang Haffner, China Moses, Viktoria Tolstoy, des membres de l’Orchestre philharmonique de Berlin, et bien d’autres encore. Et si les plans se confirment, l’année 2026 devrait devenir une véritable «année Nils Landgren»: une tournée à travers les plus belles salles européennes, avec des orchestres prestigieux, portant Love Of My Life comme un étendard musical de ville en ville.
Sa méthode de travail demeure aussi surprenante que révélatrice. «Je rencontre généralement les orchestres pour les répétitions la veille du concert», explique-t-il. «La plupart du temps, il n’y a que moi et mon trio, il n’y a même pas de chef d’orchestre. Comme toujours dans le jazz, tout est une question de communication. J’espère que les musiciens de l’orchestre comprendront mes idées… et sinon, alors je n’aurai qu’à m’adapter.» À une époque où tout semble planifié au millimètre, cette approche a presque quelque chose de radical: un rappel que le jazz est avant tout une conversation, non un script.
Avec le temps, l’oreille finit même par s’accommoder du son imparfait de l’album. L’émotion, elle, demeure intacte. Et musicalement, comme prévu, Landgren et ses compagnons évoluent à un niveau qui transcende les limites techniques. Mais ce qui définit ultimement Nils Landgren n’est ni la virtuosité, ni l’éclectisme, ni l’éclat rouge vif de son trombone. C’est sa générosité, cette générosité foncière qui traverse aussi bien sa vie que ses performances. Quiconque l’a vu sur scène, même une seule fois, le sait instinctivement.
Cette année, les chanceux seront les publics européens, qui pourront assister à cette traversée orchestrale de son parcours. On ne peut qu’espérer que Landgren décidera, un jour prochain, de porter ce projet jusqu’aux États-Unis, où sa chaleur, son humour, sa résilience et sa joie communicative seraient certainement accueillis avec enthousiasme. À soixante-dix ans, Nils Landgren ne revisite pas seulement son passé: il répète déjà la prochaine version de lui-même. Son trombone rouge, lui, continue de pointer vers l’avenir.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, November 25th 2025
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To buy this album (February 2026)
Nils Landgren as a leader on ACT:
“Love of My Life” Nils Landgren & Swedish Radio Symphony Orchestra (2026)
“Sonnets of Darkness of Love” Nils Landgren & The Swedish Radio Choir (2025)
“Christmas with my Friends IX” Nils Landgren & Friends (2025)
“raw” Nils Landgren Funk Unit (2024)
“Christmas With My Friends VIII” Nils Landgren & Friends (2023)
“4 Wheel Drive II” Landgren, Wollny, Danielsson & Haffner (2023)
“Nils Landgren & 3 Generations” (2022)
“Nature Boy” Nils Landgren solo (2021)
“Funk is my Religion” Nils Landgren Funk Unit (2021)
“Kristallen” Nils Landgren & Jan Lundgren (2020)
“Christmas With My Friends VII” Nils Landgren & Friends (2020)
“4 Wheel Drive LIVE” Landgren, Wollny, Danielsson & Haffner (2019)
“4 Wheel Drive” Landgren, Wollny, Danielsson & Haffner (2019)
“Christmas With My Friends VI” Nils Landgren & Friends (2018)
“Unbreakable” Nils Landgren Funk Unit (2017)
“Some Other Time” Nils Landgren, Janis Siegel & Bochumer Symphoniker (2016)
“Christmas With My Friends V” Nils Landgren & Friends (2016)
“Eternal Beauty” Nils Landgren Quartet (2014)
“Christmas With My Friends IV” Nils Landgren & Friends (2014)
“Teamwork” Nils Landgren Funk Unit (2013)
“Christmas With My Friends III” Nils Landgren & Friends (2012)
“The Moon, The Stars And You” Nils Landgren & Friends (2011)
“Funk for Life” Nils Landgren Funk Unit (2010)
“Christmas With My Friends II” Nils Landgren & Friends (2008)
“License to Funk” Nils Landgren Funk Unit (2007)
“Christmas With My Friends” Nils Landgren & Friends (2006)
“Salzau Music on the Water” Danielsson / Dell / Landgren (2006)
“Creole Love Call” Nils Landgren & Joe Sample (2005)
“Swedish Folk Modern” Nils Landgren & Esbjörn Svensson (2005)
“Funky ABBA” Nils Landgren Funk Unit (2004)
“I Will Wait For You” Nils Landgren & Rigmor Gustafsson (2003)
“Sentimental Journey” Nils Landgren & Friends (2002)
“Fonk da World” Nils Landgren Funk Unit (2001)
“Layers of Light” Nils Landgren & Esbjörn Svensson (2001)
“5.000 MILES” Nils Landgren Funk Unit (1999)
“Ballads” Nils Landgren with Bobo Stenson, Palle Danielsson, e.s.t. (1999)
“Live in Montreux” Nils Landgren Funk Unit (1998)
“Paint it Blue” Nils Landgren Funk Unit, Brecker Brothers, Bernard Purdie (1997)
“Gotland” Nils Landgren & Tomasz Stanko (1996)
“Live in Stockholm” Nils Landgren Funk Unit with Maceo Parker (1995)
“Chapter Two” Nils Landgren & Johan Norberg (1994)
“The First Unit” Nils Landgren Funk Unit (1992)