NANCY WRIGHT – *** Alive & Blue

Vizztone / Direct Hit
Soul blues

Depuis A.C. Reed, Eddie Shaw et J.T. Brown, on connait la place du saxophone dans le blues urbain, mais hormis Gordon ‘Sax’ Beadle ou Drew Davies, peu d’instrumentistes occupent de nos jours une position leader sur ce cuivre classé parmi les bois (la faute à ses anches). L’époque où des Jr Walker et King Curtis dirigeaient leur propre formation semblant révolue, la découverte de Nancy Wright constitue donc un choc en soi. Originaire de Dayton, Ohio, elle y étudia le basson ainsi que le piano, la harpe, la flûte et le violon dans une approche classique, et se destinait ainsi à une carrière orchestrale quand le proverbial destin vint frapper à sa porte. L’opportunité d’un rôle de saxophoniste dans une production locale du fameux musical “Cabaret” la mit en relation avec des musiciens de jazz et de blues qui l’initièrent à l’improvisation. Découvrant dès lors toutes les ressources de l’ustensile à clés, Nancy Wright fit subséquemment la connaissance d’une légende locale en la personne du regretté Lonnie Mack (géant de la guitare blues-rock moderne, sur Gibson Flying V). Ce dernier l’invita à le rejoindre sur scène, et la jeune oie blanche ne tarda pas à se commettre auprès d’autres briscards tels que Stevie Ray Vaughan, les deux Albert (King et Collins) et John Lee Hooker. Relocalisée dès 1984 dans la baie de Frisco, elle y joignit une formation spécialisée dans le rhythm n’ blues louisianais, et bâptisée Hot Links. C’est avec eux qu’elle soutint la pianiste Katie Webster sur son acclamé “You Know That’s Right” (Arhoolie). Wright et Webster apparurent ensuite ensemble sur l’album “Duets” de B.B. King en 1994, et son CV se déroula ensuite comme le bottin mondain. De Joe Louis Walker à Little Charlie & The Nightcats, on peut ouïr son sax rugir sur des albums de pointures telles que Johnny Adams, Maria Muldaur, Elvin Bishop, Tommy Castro et Mark Hummel, et Nancy Wright accompagna en tournée Bonnie Raitt, Son Seals, Ike Turner, Lowell Fulson, Hubert Sumlin et Robert Cray: de quoi asseoir un pédigrée. Elle enregistra un premier album sous son nom dès la fin des nineties (“Moanin'”, épuisé depuis), puis deux autres en 2015 et 2016, avant celui-ci. Son premier live en tant que leader, capté au fameux Saloon de San Francisco (fondé en 1861, au temps où les bikers roulaient encore à cheval). Connu pour les nombreux enregistrements live qui s’y déroulent, ce club en publia même une série sur son propre label (dénichez donc l’épatant “Drinking Triples ‘Til You’re Seeing Double And End Up Single” – ce titre! – de Johnny Nitro & The Door Slammers – ce nom!)… On citait Jr Walker et King Curtis au début de cette chronique, et c’est précisément vers ces derniers que nous oriente “Bugalu”, l’instrumental signé Nancy Wright qui ouvre ce set. Depuis son premier CD (produit par la star du Hammond B3 Tony Monaco), on sait l’inclination de Miss Wright pour l’orgue électrifié, et c’est son organiste Tony Lufrano qui lui renvoie d’emblée la balle, suivi de près par le guitariste funky Jeff Tamelier, avec le renfort d’une section rythmique aussi précise qu’incendiaire (Paul Revelli, drums et Karl Sevareid, bass). Dès la plage suivante, on réalise que les trois solistes savent également chanter, mais c’est le timbre soulful et puissant de la patronne qui tient également les rênes dans ce registre. Qu’elle égrène des soul classics tels qu'”In Between Tears”, des instrumentaux jazzy façon “Harlem Nocturne” (“Jo-Jo” ou le classique de King Curtis “Soul Serenade”), des mid-tempi funk lascifs estampillés Meters (“Warranty”) ou encore des cavalcades Texas-shuffles comme “Sugar Coated Love” (où elle évoque la canaille Lou Ann Barton), le mot d’ordre demeure “enjoy & have fun”. Propulsée par un band pour qui aucune facette du groove n’a plus de secret, Nancy Wright assaisonne chacune des ses interventions d’une généreuse rasade de tabasco, et drive ses bonshommes avec la poigne souple mais ferme d’une meneuse de revue. Enregistré sur place par Robby Yamilov, puis mixé par Kid Andersen dans ses fameux Greaseland Studios de San José, ce disque bénéficie d’une triple bénédiction: l’ambiance chaleureuse d’un club à la réputation festive non usurpée, l’excellence d’une prestation où la maîtrise instrumentale n’éclipse à aucun moment le plaisir, et une production haute-résolution. Le genre de skeud qui exporte et prolonge la bamboula jusque dans votre salon. Ouvrez grand les fenêtres, et faîtes en profiter les voisins. S’ils vous félicitent d’abuser de la touche replay, invitez les donc à danser: party record of the year!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 8th 2019