MISSRI – Vogue La Galère

Juste Une Trace / Socadisc
Folk, Rock
MISSRI - Vogue La Galère

Stéphane Missri est Inca. Euh, en fait non, il est Français, je voulais juste dire qu’il est un cas. Né à Alger mais établi en France depuis belle lurette, il est avant tout un authentique fondu des musiques américaines impliquant des instruments à cordes, depuis le banjo et la guitare jusqu’au dobro, la lap-steel et la guitare électrifiée. Sa palette s’étend ainsi depuis le bluegrass et la country traditionnelle jusqu’au folk, au blues et à ce rock psychédélique qui fleurit il y a un bon demi-siècle dans la baie de San Francisco. Nourrie de périples sur les terres originelles de ces courants, cette passion lui vaut quelques robustes amitiés. Outre celle de Jay Ryan (natif de Chicago et désormais établi en notre Saint-Denis, auprès duquel il enregistre sous le vocable collectif de Jay & The Cooks, et dont nous avons chroniqué la dernière livraison sous le même label dans ces colonnes), Missri se produit depuis des années avec Barry Melton, ex-lead guitar du légendaire Country Joe & The Fish (que ce soit en simple duo, ou dans le cadre de leur jam band, Jamasutra). Pour son premier album solo, Stéphane a rameuté la crème de son propre carnet d’adresses, au premier rang desquelles on repère le violoniste américain Paul Susen, le guitariste-harmoniciste Christian Poidevin et le contrebassiste californien Marten Ingle (ses compères au sein des Cooks), ainsi que le batteur canadien Marty Vickers et le mandoliniste français Jean-Marie Daviaud. Dès “Toutes Voiles Devant”, on reconnaît le parfum boisé des premiers Hot Tuna et des Blue Ridge Rangers de John Fogerty. Puis, avec leur violon de reel irlandais, les three-steps “Un Baiser Dans L’Espace”, “Tout est Possible Entre Vous” et “La Limite Des Usages” révèlent en Missri un parolier des plus inspirés. Tout à la surprise d’y déceler des paroles en français, on mesure la performance d’un tel mariage risqué entre la langue de Voltaire et ces sons d’outre-Atlantique. En effet, combien de ses prédécesseurs se sont-ils brisé les ratiches sur pareils écueils? L’imparable boogie-shuffle “Son Truc À Elle” rejoint Benoît Blue Boy sur son propre terreau (et parvient à ne pas y perdre la face pour autant). Tant qu’il y est, Missri dépote les éperdus rock n’ rolls “Cartels Du Rêve” et “La Vraie Nature De L’Homme”, que n’aurait sans doute pas reniés un Paul Personne. Sur une guitare reverb en mode “Pulp Fiction”, “Je T’ai Fourni La Corde” rejoint la veine désabusée d’un Patrick Coutin et d’un J.P. Nataf. “Action 18 Désir 22” reprend les sentiers gaillards d’une bluegrass dont les accents cajun sont fourbis par le fiddle de Susen, et la touche country par l’harmo de Poidevin et la mandoline de Daviaud, tandis que la verve de ses lyrics évoque Hubert-Félix Thiéfaine. “Elle Ne Dit Jamais Peut-Être” renvoie pour sa part à d’autres grands aînés tels que François Béranger et Jacques Higelin, ainsi qu’à ce digne contemporain, Éric Frasiak. “Avida Dollar” n’était autre que l’anagramme dont aimait s’affubler le facétieux Salvador Dali. Décliné au féminin pluriel, ce titre conclusif dépeint au vitriol cette époque (la nôtre) où le marketing achoppe à combler les aspirations diffuses des foules sentimentales. Bon Dieu, mais d’où sort donc ce type? Alors que l’on s’attendait confusément à un énième caprice de guitariste frustré, on se retrouve en présence d’un bestiau de première division: un auteur-compositeur comme on n’en découvre plus guère qu’un tous les dix ans, par nos temps et contrées éreintés!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, May 16th 2021