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Mike Pope, l’architecte du son: une tapisserie jazz d’intellect, d’émotion et de maîtrise.
Compositeur et bassiste de renommée internationale, Mike Pope se tient depuis longtemps à la croisée de l’intellect et de l’intuition dans le jazz. Avec ce nouvel album, il signe une œuvre ambitieuse, majestueuse, qui s’adresse directement aux amateurs d’un jazz exigeant, profond, et nourri d’un immense respect pour l’héritage du genre. Dès la première piste, une vague sonore puissante, aussi imprévisible qu’un rouleau sur la côte basque en plein hiver, l’auditeur est emporté dans une expérience à la fois viscérale et cérébrale.
Homme de mesure, Mike Pope excelle autant dans la maîtrise de sa basse que dans l’art subtil de l’équilibre entre les instruments. Rien n’est laissé au hasard : chaque timbre, chaque interaction entre musiciens, chaque silence même est chargé de sens. Le résultat est une alchimie remarquable. Qu’on s’attarde sur la beauté des compositions, l’intelligence des arrangements ou la virtuosité des lignes de basse, le festin est total, somptueux mais précis, habité sans excès.
Mais cet album est aussi un voyage intérieur. Mike Pope y explore les figures, les lieux et les sons qui ont jalonné sa carrière fulgurante, forte de trente années d’expériences. À travers une sélection d’artistes choisis avec une rare justesse, il tisse un récit sonore qui embrasse aussi bien l’histoire que la modernité. Le trompettiste Randy Brecker, figure essentielle du jazz contemporain, y croise la saxophoniste Roxy Coss, brillante représentante de la relève, et le jeune guitariste Amaury Cabral, que Pope a découvert sur les bancs du Berklee College of Music. À leurs côtés, le pianiste Geoffrey Keezer et le batteur Nate Smith, compagnons de route de longue date, participent à la construction d’un ensemble cohérent, vibrant, d’une intensité rare.
L’album alterne compositions originales et relectures audacieuses de pièces de Bird ou Coltrane. Mais loin de se contenter d’un simple hommage, Pope en propose une réinvention : des arrangements modernes, réimaginés avec une vision contemporaine. Et lorsqu’on croit le voyage achevé, il livre une ultime offrande, aussi inattendue que bouleversante : un hommage discret mais poignant à sa mère, première influence musicale. Pour la dernière pièce, The Parts You Keep, Pope s’est rendu à Atlanta pour enregistrer sa mère de 85 ans, pianiste classique accomplie, interprétant un solo d’Ernst von Dohnányi. Intégré à sa propre composition, ce moment suspendu évoque l’enfance de Pope, lorsqu’il se réveillait au son du piano maternel. La pièce clôt l’album dans une émotion intime, profonde, presque silencieuse.
Dès l’âge de quinze ans, Mike Pope jouait dans le big band de l’université de Bowling Green et, le soir, s’éclipsait discrètement à Toledo pour jouer dans de petits clubs branchés avec des vétérans comme Eddie Abrams, vieux pianiste de légende, vaguement lié à Bird et aux géants du be-bop. Ces expériences fondatrices imprègnent toute l’œuvre de Pope, jusqu’au choix des musiciens de cet album, et tracent les contours d’un projet aussi ancré dans l’histoire du jazz que résolument tourné vers son avenir. C’est cette dualité, cette volonté de faire résonner toutes les formes du jazz avec élégance et sincérité, qui définit Mike Pope, à la fois accompagnateur magistral et véritable leader d’orchestre.
Difficile de définir le style de Mike Pope, précisément parce qu’il est singulier, assumé, parfaitement aligné avec sa vision artistique. Il fait partie de ces rares musiciens capables de traduire avec clarté leur monde intérieur. À la basse, il défie les conventions: certaines lignes semblent jouées à l’archet sur une contrebasse, d’autres sonnent comme des éclats de funk électrique. L’influence des années 70, loin d’un pastiche rétro, s’exprime ici comme une relecture contemporaine, vivante, ancrée dans notre époque.
Il s’agit, sans conteste, de l’un des projets jazz les plus réjouissants de l’année. Il faut dire que le label Origin Records, fondé par des musiciens et reconnu pour ses choix artistiques éclairés, signe ici une de ses plus belles réussites. L’album de Mike Pope est bien plus qu’un exercice de style: c’est une déclaration d’art et de vie d’un musicien au sommet de sa maturité créative.
Et, à n’en pas douter, il s’imposera comme l’un des plus beaux albums jazz de 2025.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, July 27th 2025
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Musicians :
Geoffrey Keezer – piano, Fender Rhodes
Mike Pope – bass
Nate Smith – drums
Randy Brecker – trumpet & flugelhorn (5,7)
Roxy Coss – tenor & soprano saxophone (2,3,6,8)
Amaury Cabral – guitar (2,6,7,8)
Ann Almond Pope – classical piano (8,9)
Yu-Ting Wu – violin 1 (5,7)
Jennifer Houck – violin 2 (5,7)
Ivan Mendoza – viola (5,7)
Peter Kibbe – violoncello (5,7)
Tracklist :
1 Misgivings 6:58
2 Steeplechase 4:14
3 Giant Steps 6:44
4 Dashan’s Flying Ubercar 7:01
5 That Old Feeling 9:24
6 Barolo Blue 4:33
7 Past is Prologue 5:01
8 The Parts You Keep 8:30
9 Winterreigen, Op. 13: V. Sphärenmusik 5:52
(1,4,6-8) by Mike Pope (Walk Your Dogma Music, BMI)
(2) by Charlie Parker (Atlantic Music Corp)
(3) by John Coltrane (Jowcol Music)
(5) by Sammy Fain & Lew Brown (WC Music Corp./ L. Lee Phillips & Fain Music Co)
(9) by Ernst von Dohnányi
Production Info:
Produced by Mike Pope
Recorded, mixed & mastered by Mike Pope at Vatican City Sound, Marriottsville, MD
Recorded October 9-10, 2022
Cover art by Elizabeth Pope | Photos by Mort Schuman
Cover design & layout by John Bishop
(8,9) Classical piano recorded at Dave Pope Productions, Atlanta, GA
(9) Recorded by Dave Pope
Piano technicians: David G. Hughes (MD); Brian McClure (GA)