MIKE NAGODA – Outside The Box

Autoproduction
Blues-Rock, Slide
MIKE NAGODA - Outside The Box

En dépit de ses faux airs de feu Jeff Buckley, le double slide-guitar master canadien Mike Nagoda n’est pas du genre à cultiver la moindre ambiguïté. Atteint dès la naissance de paralysie cérébrale (une affection touchant pas moins de 17 millions de personnes dans le monde, et s’avérant la déficience motrice la plus courante chez l’enfant, bien qu’elle ne provoque aucune déficience intellectuelle), il développa très tôt une passion pour la guitare, dont ce handicap cognitif et sensoriel ne rendit pas moins l’apprentissage des plus laborieux. Ce n’est que lorsqu’il découvrit l’existence d’une technique originale de glissando (appelée double-slide, et initiée par le virtuose de Toronto Brian Cober) qu’il trouva sa voie en tant qu’instrumentiste. Ayant développé une profonde connivence avec ce mentor (qui devait décéder en 2016, la soixantaine à peine franchie), il enregistra son premier album, “Parliament”, voici sept ans déjà. Le titre de son successeur ne laisse planer aucun doute: il s’agit bien d’un coming out, puisque Mike se revendique également membre à part entière de la communauté LGBT et queer. Peu nous en chaut, puisque bien avant l’avènement de la woke culture, nous avons toujours considéré que chacun pouvait vivre sa sexualité selon sa guise, mais au regard des préoccupations de Paris-Move, la pratique du double slide nous interpelle par contre au plus haut point. Théorisée et codifiée par feu Brian Cober, celle-ci consiste à augmenter l’enfilage d’un tube d’acier sur le majeur de la main gauche de celui d’un autre bottleneck glissé autour du pouce, tandis que la main droite continue de pincer librement les cordes. Dès le sereinement revendicatif “He’s My Man” (rappelant le “Glad To Be Gay” de Tom Robinson), les soli de slide se révèle proprement tétanisants, tout en dialoguant avec l’harmonica hautement inflammable de Liam Ward. “Kingdom Of Heaven” et “P.R.I.D.E” empruntent pour leur part à la verve satirique du Zappa de “More Trouble Everyday”, tandis que la slide de Mike (épaulée par la wah-wah de son producteur Chris Birkett) y dessine des trainées de kérosène fumant. Cette veine funky se tempère quelque peu avec le non moins affirmatif “Here To Stay” (au solo de slide digne de Jeff Baxter circa Steely Dan & Doobie Brothers), avant que le lancinant “Busker’s Blues” (le blues de la manche) n’accueille sur son pont un certain Michael Keith pour un chorus non moins électrisant. Les plus anciens se retrouveront en terre de connaissance, quand Mike Bloomfield, Barry Goldberg et Al Kooper jammaient le blues électrique avec un soupçon de psychédélisme dedans. La subtile touche swing-jazz de la suite “O Maximus” rappelle quant à elle ce que produisaient Boz Scaggs et Ben Sidran voici un demi-siècle (au temps du Steve Miller Band), tandis que “Crumble And Fall” évoque les facéties country-rock de Country Joe & The Fish et du Lovin’ Spoonful (avec le ragtime piano d’Anthony d’Alessandro), et que la plage titulaire épouse la facture paradoxalement macho et bravache des sudistes de Lynyrd Skynyrd (trio de guitares entrelacées à l’appui). Hommage déclaré à Tito Puente, l’instrumental “Conquistador” rappelle avec bonheur les riches heures du Santana d'”Abraxas”, feu roulant de percussions, claviers, saxo et guitare à l’appui, alors que le shuffle conclusif “We Got A Party” pastiche “Further On Up The Road” sur le mode festif. Quand bien même sa teneur générale frise parfois l’anachronisme, voici un disque dont ni l’intensité ni le propos ne souffrent la moindre contestation.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, December 8th 2021