Celtic rock blues |
Sixième album en près de quinze ans pour celui que la critique internationale désigne à la fois en tant que “secret le mieux gardé de la scène musicale canadienne”, et “une sorte de chaînon manquant entre Colin James, T-Bone Burnett et Richard Thompson”. Il faut pouvoir se montrer à la hauteur de pareille présentation, et c’est précisément ce à quoi s’emploie Michael Schatte, au fil des quinze plages proposées. Dès l’enlevé (et poétiquement explicite) “Water In The Kettle”, on saisit la portée de ces comparaisons. Allégorie des jeux de séduction au sein d’un couple amoureux, cette introduction témoigne de l’ancrage de Schatte dans une certaine tradition rock puisant à la fois dans ses racines celtes (ce pont mêlant guitare et violons, précédant un solo de six cordes électriques proprement ébouriffant) et afro-américaines (cet irrépressible shuffle beat). Le heavy “Dry Black Powder” pousse la métaphore plus avant encore, en abordant les cas dépendance morbide envers son amant(e), tandis que “Genevieve” et “Daria” évoquent de manière troublante la geste démonstrative des premiers Dire Straits. La foudroyante dextérité de Michael Schatte s’exprime encore au fil du trépidant “Silly Old Man” et du swinging funk “The Upper Hand” (où sa guitare prend des accents hendrixiens, avec le judicieux soutien du saxophone de Carson Freeman). Le savoureux Chicago shuffle “Please Don’t Dance With My Brother” et les boogies “Long Time Lover” et “Come On Down” traitent à nouveau de rivalité amoureuse (il semblerait que le Schatte soit du genre jaloux), tandis que la plage titulaire, “Bread, Water, Love” (sur un poème de John B. Lee, récité par son auteur même) et “The Candy Aisle” embrassent la veine celtique dont notre Dan Ar Bras national, son ami Rory Gallagher et certains titres de Led Zep surent en leur temps se faire les passeurs. Cet album se referme sur un époustouflant medley instrumental en hommage au grand Richard Thompson (“Good King Richard”), où s’imbriquent trois traditionnels et “The Knife Edge” de ce dernier. Il convient également de signaler que Michael assure seul (et avec brio) l’intégralité des instruments (batterie exceptée, mais orgue, basse, violon, piano, accordéon et mandoline inclus) sur une bonne moitié de cette livraison (conséquence du confinement?). Un disque qui ravira sans doute autant les guitaristes qu’il en précipitera certains dans d’insurmontables complexes d’infériorité, mais mérite d’être également recommandé à tout amateur de songwriting quelque peu élaboré.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, November 29th 2020