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“Many Moons” de Markus Rutz, Un voyage cinématographique à travers le temps et les sonorités du jazz.
Un an après la sortie de son remarquable album Storybook, le compositeur et trompettiste Markus Rutz revient avec un projet encore plus personnel, plus poétique, plus audacieux. Many Moons, son neuvième album et le premier publié sous le jeune label Third Coast Sounds, n’est pas seulement une étape supplémentaire dans son évolution musicale: c’est une réaffirmation puissante de son identité artistique, déclinée ici dans un format plus intime, plus cinématographique, plus résolument accompli.
Si Storybook dévoilait déjà un conteur de jazz ancré dans la tradition, Many Moons en serait le montage final: une version enrichie, foisonnante, savamment orchestrée, menée par un artiste qui maîtrise les ressorts du genre et n’a pas peur d’en repousser les limites. Rutz possède un talent rare: celui de moderniser l’histoire du jazz sans la trahir, d’en raviver les récits en leur donnant une nouvelle élégance contemporaine. Sa musique, même lorsqu’elle s’aventure hors des sentiers battus, n’oublie jamais d’où elle vient.
Tout au long de l’album, Rutz brouille habilement les frontières, entre composition et improvisation, entre structure et liberté, entre le jazz des années fastes et celui en train de s’écrire. À certains instants, on croirait voir surgir Lauren Bacall, surgissant d’un nuage de fumée dans un club feutré. À d’autres moments, une ligne de guitare s’invite, chaude, soyeuse, et l’on croirait entendre George Benson s’adresser directement à nous. Ce n’est jamais un pastiche : c’est une réinvention respectueuse.
Le titre de l’album, Many Moons, en est la clé de lecture: une métaphore du temps comme matériau de creation, un marqueur de l’expérience, un sculpteur de mémoire, un compagnon discret mais omniprésent. Chaque morceau semble représenter une phase de cette trajectoire, une méditation sur le temps présent. Rutz explique que la composition, l’interprétation et l’enregistrement se sont étalés sur plusieurs mois, faisant de l’album un véritable témoignage de la créativité à l’instant T, une forme de journal artistique vivant. Ce n’est pas une simple suite de morceaux; c’est un carnet de bord.
L’auditeur est donc invité à se déconnecter, à ralentir, à vivre l’expérience en pleine conscience. Many Moons n’est pas une musique d’ambiance. Elle se mérite, elle exige notre attention, et en échange, elle nous offre ce qu’il y a de plus rare: une écoute qui reste.
On retrouve dans cet album une qualité quasi cinématographique. Chaque morceau semble avoir été scénarisé, pensé comme une scène de film. On imagine facilement Markus Rutz griffonnant des idées musicales après un concert, dans un club ou lors d’un festival d’été, transposant ses impressions en notes. Il y a chez lui une fausse simplicité dans l’art de la mélodie, qui cache en réalité une grande maîtrise de la forme et une complexité raffinée. Plus on écoute, plus on découvre. C’est du jazz comme recherche, comme exploration, presque comme une science fondamentale.
À cette profondeur intellectuelle s’ajoute une grande ouverture culturelle. Le langage musical de Rutz est aussi vaste que son répertoire. En plus de ses compositions originales, il revisite des œuvres de Richard Rodgers, Van Morrison, Joe Sample, Irving Berlin et Brice Wilson. La reprise de Blue Moon, en particulier, est une belle réussite: les arrangements subtils parviennent à renouveler ce classique sans en altérer la beauté, en lui insufflant une modernité pleine de tact.
Une légèreté malicieuse traverse également le disque, un clin d’œil complice, presque joueur, de Rutz à son auditoire. Loin de nuire à la profondeur de l’œuvre, cette facette ludique en renforce l’humanité. Many Moons, en ce sens, est aussi un album sur le plaisir de jouer, sur la joie partagée que procure la musique quand elle est transmise avec sincérité.
Et ce morceau-titre, Many Moons, semble déjà destiné à devenir emblématique. Sa ligne mélodique possède cette forme de persistance rare, un magnétisme discret mais tenace. Elle s’impose doucement, s’infiltre dans l’esprit, et une fois l’album terminé, elle continue de résonner, comme si elle refusait de vous quitter. Ce n’est pas le fruit du hasard. C’est l’œuvre d’un artisan.
Avec Many Moons, Markus Rutz ne fait pas que confirmer sa place parmi les artistes de jazz les plus sensibles et réfléchis de sa génération. Il offre un album qui demande à être écouté avec soin, patience, et surtout, avec du temps. Et en retour, il nous donne quelque chose de précieux: une musique qui demeure.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, July 30th 2025
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Musicians :
trumpet – Markus Rutz
tenor saxophone – Brice Winston
alto saxophone – Sharel Cassity
alto saxophone – Greg Ward
piano – Adrian Ruiz
guitar – Matt Gold
bass – Christian Dillingham
bass – Samuel Peters
percussion – Gregory Artry
original compositions – Markus Rutz
Tracklist:
Penumbra
By And By
Moondance
Before We Met
Asso-Kam
Many Moons
Blue Moon
Denouement
On The Bosrand
Blue Skies
Time To Spare
sound recording by Brian Fox of Electrical Audio Chicago
sound engineering by David Stoller Samurai Recording Astoria Queens, New York
producer – Greg Ward
photography & album design by Tuan Huynh of VietFive Chicago