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Le compositeur et tromboniste Michael Dease a récemment eu cette remarque révélatrice à propos de Margherita Fava: «Margherita est une présence exceptionnelle et positive au sein de ses ensembles et de son environnement, ce qui a indéniablement contribué à son évolution en tant que jeune musicienne à suivre.»
C’est une belle synthèse, mais qui ne fait qu’effleurer la surface de ce qui rend son nouvel album, Murrina, si intrigant.
Ce qui s’impose d’emblée, c’est que le plus grand don de Fava ne réside pas seulement dans son jeu, mais dans sa capacité à composer. Dès la première plage, elle déploie un paysage musical à la fois personnel et exigeant. La base jazz est solide, mais ses influences classiques sont tout aussi marquées. C’est une musique nourrie des traditions du XIXe et du début du XXe siècle, dense d’une richesse harmonique et de gestes dramatiques. L’auditeur y perçoit les échos de la puissance de Tchaïkovski, de la défiance inquiète de Wagner, et de l’ampleur du grand romantisme, le tout réfracté à travers une sensibilité jazz résolument contemporaine. S’il fallait pointer une limite, c’est que la musique semble parfois trop pleine, avec peu d’espace pour respirer. Mais ce n’est qu’une réserve mineure dans un album qui captive de bout en bout. Même la pochette semble annoncer cette intention: prolongement visuel d’un univers sonore à la fois historique et moderne.
Le parcours de Fava éclaire ce cheminement. Née en Italie dans une famille de musiciens spécialisés dans le répertoire baroque, elle a grandi imprégnée de tradition, sans jamais s’y laisser enfermer. Elle commence le piano à dix ans, passe à la basse électrique à l’adolescence, et à 17 ans suit un stage d’été de jazz à Venice (New York), organisé par la New School. C’est là qu’elle vit une expérience décisive: apprendre seule, à l’oreille, le solo de Miles Davis sur So What. Comme beaucoup avant elle, elle le décrit comme un tournant qui a redéfini sa vision de ce que la musique pouvait être.
Parlez avec des musiciens de jazz, d’origines diverses, et un nom finit toujours par surgir: Miles. De plus en plus, les jeunes artistes ajoutent à cette liste Joe Zawinul ou Wayne Shorter. Ce n’est pas un hasard. Ce furent des musiciens à la personnalité monumentale, dont l’œuvre continue de façonner la manière dont de nouvelles générations trouvent leur voix. Fava n’échappe pas à cette règle, et nulle part cela n’est plus clair que sur Yan, la plage la plus révélatrice de l’album. En contraste avec les arrangements plus denses du reste, Yan réduit les choses à l’essentiel: un trio piano-contrebasse-batterie. Cette retenue permet à Fava de déployer pleinement son art. Les lignes sont directes, la structure limpide, le phrasé net et lyrique. C’est dans cette pièce que ses talents de pianiste et de compositrice apparaissent le plus clairement, et elle laisse peu de doute sur son potentiel.
Murrina se présente finalement comme un album en deux volets. Yan en occupe le centre comme une charnière. La première moitié établit le terrain esthétique de Fava ; la seconde est celle où elle prend davantage de risques, allège les textures et assume des choix plus aventureux. Les résultats sont frappants. À la fin du disque, l’impression n’est pas celle d’un simple premier essai, mais bien d’une déclaration d’intention, le début d’une trajectoire qui promet beaucoup.
Si sa progression se poursuit, Margherita Fava pourrait bien s’imposer comme l’une des compositrices majeures de sa génération. Murrina n’est pas seulement un premier pas réussi. C’est le son d’une artiste qui jette les bases d’une voix encore en formation, mais déjà digne de toute l’attention.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, September 13th 2025
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Musicians :
Margherita Fava: piano, compositions, arrangements
Brandon Rose: upright and electric bass
Jonathan Barber: drums
Bob Reynolds: tenor saxophone
Taber Gable: synths
Jef Babko: synths and editing
Recorded at Stone Soup Studios in Maumee, OH by Eric Sills
Mixing and mastering by Chris Allen
Artwork by Margherita Fava
Track Listing :
No Clue
Keep On
Intermezzo, Op. 117 No1
Murrina
Satin Dol
Yarn
Murrina reprise
Foreshadow
Alter Ego