MANU DIBANGO – Négropolitaines

Frémeaux & Associés / Socadisc
Afro Jazz
MANU DIBANGO - Négropolitaines

Quand elle a disparu le 24 mars dernier (des suites de ce satané COVID-19), la haute et joviale silhouette de Manu Dibango a laissé une empreinte béante dans l’histoire des musiques pan-africaines. Et pour cause: en un peu plus d’un demi-siècle, ce Camerounais rigolard aura joué, sans avoir l’air d’y toucher, un rôle comparable à ceux des Salif Keita, Youssou N’Dour, Mory Kanté et autres Touré Kunda pour la reconnaissance et la diffusion des sons de l’Afrique moderne de par le monde. Sur la cinquantaine d’albums qui constituent son legs, il en est deux qui se distinguent particulièrement. Pas spécifiquement par leur qualité (même si celle-ci n’est nullement en cause), mais de par leur œcuménisme revendiqué. Avec un de ces combos mélant musiciens des DOM (Réunionnais, Guadeloupéens, Martiniquais) et Africains qu’il avait coutume et facilité d’assembler depuis leurs diasporas parisienne et bruxelloise, Manu Dibango s’y est attaché à transcrire l’apport décisif des sons du continent originel parmi ceux des mégalopoles urbaines. Mêlant compositions inédites et adaptations de standards africains (de l'”Indepandance Cha Cha” de Joseph Kabasele au “Pata Pata” de Miriam Makeba), “Négropolitaines” vol. 1 & 2 (respectivement parus en 1989 et 92) figurent parmi les manifestes les plus convaincants de l’universalité du black spirit. À présent réunies sur un même support, ces deux sessions présentent des line-ups sensiblement différents (avec outre Manu Dibango, seuls les guitariste et bassiste en commun), et si la seconde propose un quatuor de violons, y figure aussi un autre géant récemment disparu, le génial batteur Tony Allen (Fela Kuti, The Good, The Bad & The Queen). On pourra déplorer que l’ordonnancement des titres en perturbe quelque peu la chronologie, mais la “Panafrican Jam” d’ouverture plante le décor sur un beat mandingue, tandis que la plage titulaire tisse des passerelles entre ambient jazz et afro-beat, et que le “Mpuli Mwa Moni” de Willy Le Paape et “Oh Koh!” ondulent au rythme d’une biguine. Mais ce sont surtout les capacités d’arrangeur de Manu “Papa” Dibango qui excellent ici (transcendant les classifications, et mixant indifféremment les influences de Miles Davis et Stan Getz avec son propre patrimoine culturel), tandis qu’il y assure avec brio les parties de saxo et claviers. À ce propos, quand je lui présentai pour demande de dédicace l’album que T-Bone Walker enregistra avec lui et Slim Pezin en 72 à Paris, le pourtant débonnaire Manu se fâcha presque en répliquant: “Ah, cache moi ça: j’en ai réalisé tous les arrangements de cuivres, et je n’en ai jamais été payé!”. Comme disait Trinita: pardonne, mais n’oublie jamais…

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, October 15th 2020

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C’est entre 1989 et 1992 que Manu Dibango enregistra le cycle Négropolitaines, en deux volumes: le premier, sorti en octobre 1989, et le second en 1992. Son idée consistait à vouloir mettre en valeur le répertoire du continent et réunir la fine fleur des musiciens africains de la capitale pour le célébrer. Il s’occupait des saxophones, claviers et arrangements, et était entouré de deux guitaristes, deux bassistes, un clavier, un trompettiste, un batteur et deux percussionnistes pour l’enregistrement du premier volume au Studios Digital Service. Les musiciens ne furent pas les mêmes pour l’enregistrement du second volume, à quelques exceptions près, aux Studios Addis, Royal Transfer, Latitude 101 et CNIT. Le présent album contient des titres extraits des deux volumes de l’œuvre. Manu Dibango a signé 8 des 16 compositions et en a arrangé une neuvième. On trouve dans ce recueil aussi bien de l’Afro-beat que du mbaqanga, du soukouss ou de la rumba, voire de la biguine afro-antillaise… Ce superbe travail sera sanctionné par une Victoire de la Musique en 1993 et Manu Dibango devient alors le chantre reconnu de la World Music. Soul Makossa en a confié la licence exclusive à la maison Frémeaux & Associés, l’occasion d’écouter une rétrospective sonore des musiques qui ont fait battre le cœur du continent africain, hier et aujourd’hui.

Dominique Boulay
PARIS-MOVE & Blues Magazine (Fr)

PARIS-MOVE, October 16th 2020