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Ah, les Flamin’ Groovies… À part le Velvet Underground, quelle autre formation surgie au mitan des sixties fut-elle parée ensuite d’une telle aura mythique? Disséminés de par le monde, leurs fans-clubs respectifs n’en finissent pas de traquer le moindre bootleg ou rogaton, ultimes reliefs à même de sustenter la flamme toujours vaillante de leur dévotion. Depuis les décès successifs de Nico, Sterling Morrison et Lou Reed, il ne subsiste en effet plus le moindre espoir de revoir le combo new-yorkais en chair et en os. Pour les Groovies (suite aux récentes disparitions de Roy Loney, Danny Mihm et Mike Wilhelm), on n’en espère guère davantage, même si leur inopiné “Fantastic Plastic” advint en 2017 pour rompre un quart de siècle de silence discographique. Alors, comme tout addict en manque, le disciple se met en quête du moindre signe de vie post-split de ses héros respectifs. Pour les Groovies, hormis le parcours en solo du regretté Loney (avec ou sans ses Phantom Movers), et celui de son successeur Chris Wilson (avec ou sans Barracudas), il y eut aussi les anecdotiques Hot Knives (où sévirent les séminaux Tim Lynch et Danny Mihm, dans leur quasi-anonymat des mid-seventies). Pour Cyril Jordan, leur auto-proclamé lider maximo, les choses s’avérèrent plus compliquées. En effet, comment prétendre à une carrière solo, quand on s’est employé deux décennies durant à évincer ses propres frères d’armes, dans la quête dérisoire d’un hasardeux complete control ? Durant la majeure partie des années 90, Cyril le déplumé ne se consacra plus que marginalement à la musique, y privilégiant sa seconde passion : le graphisme. Émargeant notamment aux studios Disney, il illustra ainsi maintes couvertures du Journal de Mickey! On peut lui concéder que la pitoyable déroute de son groupe lui avait sans doute laissé quelques plaies cuisantes à lécher… C’est pourquoi le Politburo dressa une oreille circonspecte quand lui parvint, en 2004, la rumeur d’un retour aux affaires du ci-devant Jordan. Et ce en outre, sous la formule d’un band au nom sybillin: Magic Christian est en effet le titre d’un film de Joseph McGrath (avec Peter Sellers et Ringo Starr), dont une partie de la B.O. fut signée en 1969 par McCartney, et interprétée par Badfinger. La genèse de ce retour en catimini est typique de la scène San Francisco : un zélote éperdu de psych et garage rock sixties, Paul Kopf, s’était mis en tête d’y organiser un “Bay Pop Festival”, qui perdura cinq éditions consécutives durant, de 1999 à 2003. Il faut savoir que la Californie dénombre de nos jours encore la plus forte concentration de nostalgiques de ces courants musicaux (ainsi que maints de leurs protagonistes initiaux). D’abord sollicité comme conseiller artistique et assistant à la programmation, Cyril Jordan en vint même à accompagner sur scène quelques vieilles gloires telles que les Beau Brummels, reformés pour l’occasion. De fil en aiguille, Kopf (également chanteur compétent) parvint à ranimer chez ce vieux grigou l’envie d’avoir envie, et c’est ainsi qu’une première mouture de Magic Christian se mit en quête d’un studio pour y enregistrer douze originaux, avec le bassiste anglais expatrié Alec Palao (ex-Sneetches), ainsi que le batteur Prairie Prince (ex-Tubes) et un certain Joel Jaffe, à la seconde guitare et aux claviers. Hormis deux titres co-signés avec ses congénères, il s’agit donc de la plus prolifique bordée créative du sieur Jordan depuis la fin des Groovies, et l’on comprend la curiosité (mêlée d’une inquiétude diffuse) que suscita ce projet dans le Landerneau groovien. Paradoxalement, ce sont davantage les Plimsouls (autre formation californienne, mais de Los Angeles, et par ailleurs responsable d’un remarquable “Zero Hour” au début des eighties) que les Flamin’ Groovies que rappelle le “Too Close To Zero” qui ouvre les festivités. On en trouve également la marque sur “Right Back Where We Started” (sous ascendance croisée Beatles et Easybeats), et les spécialistes n’y verront rien de surprenant, tant les groupes de Cyril et de Peter Case présentaient de convergences dans les eighties, sous la bannière alors estampillée power-pop du regretté Greg Shaw (Jordan & Co. reprenaient même sur scène le “Million Miles Away” des Plimsouls). La touche Groovies Mark II (celle de “Shake Some Action”, “Now” et “Jumping In The Night”) reprend ses droits dès les téléphonés “Things She Said”, “Here She Comes”, “She’s So Good” et “Some Day Soon” (avec leur jingle-jangle de 12 cordes sur riffs Merseybeat). Avec ses harmonies vocales, ses arpèges et son gentle jerk beat à la Ringo, “No Time To Cry” s’avère sans doute le pastiche des Fabs le plus flagrant (Prairie Prince s’y délectant à plagier les fills d’époque du fameux batteur bagué). Autant vouloir changer les rayures du zèbre : les Groovies des mid-seventies appréciaient autant les Rolling Stones circa Brian Jones que les Beatles et les Byrds, et le “My Gal” qu’ils co-signent ici tous les quatre atteste que cet amour s’est naturellement transmis aux Magic Christian – c’est simple, on croirait presque entendre Lennon et Macca y reprendre “The Last Time” ! Mais avec le recul des ans, Cyril Jordan s’est manifestement réconcilié avec la première incarnation de son groupe originel, comme en témoignent ici ces “Flash” et “Till I Looked In Her Eyes” réminiscents de “Slow Death” et “Let Me Rock”, dont les guitares retrouvent certains des accents sauvages. Sur un riff chipé au “Heatwave” de Martha & The Vandellas, “Ride The Light” emprunte la pente ascensionnelle des Byrds de “Fifth Dimension” et “Younger Than Yesterday”, seule timide incursion psychédélique de cet album, qui se conclut sur une cover tellurique du “I Can See For Miles” des Who ! Au temps béni de Roy Loney, les Groovies avaient déjà repris “”Can’t Explain” et “Call Me Lightning”, mais ce furieux de Prairie Prince démontre ici quel Keith Moon et Danny Mihm aficionado il peut aussi se montrer, tandis que Jordan décoche des power chords à faire pâlir Pete Townshend en personne, et que Palao mouline une ligne de basse talonnant celle d’Entwistle : wow, apothéose !.. La mention “Limited Edition 2 CDs Authorized Bootleg” indique que vous appartenez à la congrégation des heureux élus à détenir le seul témoignage live de cette éphémère formation. Bien vous en prit, puisque celle-ci démarre sur les chapeaux de roue avec une reprise du “Made My Bed” que George Young composa pour ses Easybeats, avant une version de “Till I Looked In Your Eyes” encore plus débridée que son équivalent studio (la guitare de Jordan y découpant des scories brûlantes façon “Live At Leeds”). Le reste est à l’avenant, les huit plages suivantes provenant toutes de l’album originel, en mode “faut-il-vous-l’attendrir?”… Bien que capté un 1er avril 2004 au Great American Music Hall de Frisco, ce live ne fleure à aucun moment la plaisanterie: Prairie Prince s’y répand en roulements psychotiques, Kopf y éructe comme un Gerry Roslie en rut et le patron y retrouve, comme par magie (!), le mors aux dents de ses tendres années (jusqu’à violenter une pédale wah-wah sur la coda de “Here She Comes”). Bien mieux enregistré que tous ces pseudo-lives des Groovies dont on nous rebat les esgourdes depuis quatre décennies, un must absolu.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, May 19th 2021
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A retrouver sur le site web de Dirty Water Records, ICI