Mac Gollehon & The Hispanic Mechanics – Pistoleros (FR review)

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Jazz Fusion, Jazz moderne
Mac Gollehon & The Hispanic Mechanics – Pistoleros

Mac Gollehon n’a jamais été un musicien enclin à la prudence. Trompettiste, compositeur et multi-instrumentiste, il a bâti sa carrière dans les interstices des genres, refusant le confort de la catégorisation. Son dernier projet, Pistoleros, ne fait pas exception. C’est une expérience audacieuse, parfois désordonnée, qui le place en voyageur sonore, explorant les confins d’une fusion entre jazz, rythmes caribéens, énergie rock et futurisme électronique.

Au cœur de l’album, on retrouve l’écho des impulsions les plus aventureuses de Miles Davis, on y perçoit des réminiscences d’Ascenseur pour l’échafaud, sa bande originale de 1958 qui brouillait déjà les frontières entre cinéma et improvisation, mais filtré ici par une sensibilité post-industrielle. Le son de Gollehon n’évoque pas tant le Paris nocturne qu’un paysage fragmenté, des villes baignées de néons et les souterrains numériques de la modernité. Il en résulte une fusion informelle, bondissante, qui se déploie comme un road movie cinématographique, plein de détours et de ruptures.

La diversité des instruments joués par Gollehon impressionne : trompette, trombone, tuba, piano, guitare et chant, tous intégrés dans les huit morceaux de l’album. À ses côtés, le percussionniste Anthony Carrillo, figure respectée des cercles latin et jazz, connu pour son travail avec Batacumbele, Eddie Palmieri, Hilton Ruiz, Yambawa, Giovanni Hidalgo, Gonzalo Rubalcaba, Harry Belafonte, Paul Simon, entre autres, apporte une profondeur rythmique et une authenticité qui ancrent le disque dans une tradition caribéenne et latine, tandis que Gollehon s’aventure vers des horizons hybrides.

Fait notable: la plupart des morceaux durent moins de six minutes. Un choix stratégique qui semble pensé pour séduire les programmateurs au-delà du seul monde du jazz. Par moments, Pistoleros sonne davantage comme un album rock que comme une production jazz, martelant l’auditeur de rythmes répétitifs et d’effets synthétiques volontairement rugueux. L’effet peut désorienter, mais il intrigue aussi : une musique qui oscille entre pulsation de club et collage avant-gardiste.

Derrière cette surface agitée, pourtant, se dessine une véritable architecture. L’album superpose percussions latines, textures de jazz cinématographique, énergie du rock progressif et manipulations électroniques. Le mélange n’est pas toujours homogène, mais son intention est claire: mettre en scène un dialogue entre passé et futur, entre tradition et technologie, entre résonance acoustique et distorsion synthétique. Si le jazz est, au fond, l’art du risque et de l’improvisation, Pistoleros transpose cette éthique dans le XXIe siècle, où l’improvisation se joue autant avec des machines qu’avec des partenaires humains.

Le projet dépasse aussi la musique elle-même. Un court-métrage promotionnel, tourné, curieusement, au format téléphone portable et disponible uniquement sur Vimeo met en scène Gollehon dans le rôle de «Mac Attack», un musicien qui mise sa carrière et son contrat d’enregistrement lors d’une partie de blackjack face à un parrain mafieux et sa bande, chacun incarnant un morceau de l’album. Le chef, Vinny «Bay Parkway Snake», est interprété par Vincent Pastore, surtout connu pour son rôle de Sal dans Les Soprano. C’est un récit visuel décalé, presque burlesque, qui souligne le goût du risque de Gollehon, mais dont le format et la diffusion limitée rendent le partage malaisé à l’ère des réseaux sociaux.

Tout cela pose une question plus large : où se situe Mac Gollehon dans sa trajectoire artistique? Pistoleros ne s’impose pas comme un manifeste définitif. C’est davantage un album de transition, une œuvre en mouvement plutôt qu’une conclusion. La musique part dans de multiples directions, parfois enthousiasmantes, parfois déroutantes. Mais cette instabilité est assumée: Gollehon est en quête de sonorités, empile les expérimentations, explore des pistes qui ne se cristalliseront sans doute pleinement que dans son prochain projet.

En ce sens, Pistoleros ressemble davantage à un laboratoire qu’à un aboutissement. Sa véritable valeur n’est pas dans son vernis mais dans son audace exploratoire, dans ce refus des frontières, dans cette confrontation entre traditions et technologies, dans cette extension de la définition même de la fusion jazz. Si l’on écoute attentivement, derrière les rythmes et les textures mouvantes, on entend un artiste aux prises avec la forme, la déchirant pour y laisser entrer l’inattendu.

L’histoire du jazz est jalonnée de ces œuvres de transition. On pense aux expérimentations parfois inégales mais visionnaires de Charles Mingus à la fin des années 1960, ou aux aventures électriques de Miles Davis dans les années 1970. Ces albums n’étaient pas conçus pour le confort d’écoute; ils étaient les témoins d’une lutte, d’une recherche, d’un possible. Pistoleros s’inscrit dans cette lignée. Ce n’est sans doute pas le disque qui définira la carrière de Mac Gollehon, mais peut-être celui qui en dessinera l’avenir.

En ce sens, Pistoleros est à la fois brouillon et indispensable: un disque qui brouille les repères, décloisonne les genres et ose faire de l’instabilité une forme de création. Que l’on y voie de l’exaltation ou de la confusion, il impose une chose: l’impossibilité de rester indifférent. Et dans un paysage musical saturé de productions formatées pour se fondre dans le décor, ce refus de l’indifférence est déjà une victoire.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, September 19th 2025

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Track Listing:
1. Pistoleros
2. Stud Poker
3. Sign It
4. Mac Attack
5. Vinny “Bay Parkway Snake”
6. Killer Joe “Zillionario”
7. Atiba “SideEye” Powers
8. Stacked Deck