Rock sudiste

Quand le 20 octobre 1977, le Convair CV-240 que louait Lynyrd Skynyrd pour relier les dates de sa tournée automnale U.S. s’abattit dans les marécages près de Gillsburg, Mississippi, on imaginait leur histoire définitivement pliée. Outre Ronnie Van Zant (la grande gueule hâbleuse qui leur faisait office de chanteur et leader), y perdirent également la vie Steve Gaines, leur dernière recrue en date au poste de troisième guitare, ainsi que sa sœur Cassie (choriste sur ce tour), les deux pilotes et leur roadie Dean Kilpatrick. Le reste de la bande ne valait guère mieux: le nez du pianiste Billy Powell ne tenait plus à son visage que par un lambeau de peau, le bassiste Leon Wilkeson subit une perforation pulmonaire, et les autres des fractures multiples et variées, tandis que leur batteur hirsute, Artimus Pyle, se fit tirer dessus par un autochtone en partant chercher de l’aide en auto-stop. Le “Freebird” écrasé au sol, la poursuite d’une carrière jusqu’alors en pleine ascension semblait dès lors pour le moins compromise. Quatorze mois auparavant, les Sudistes s’étaient pourtant produits à Knebworth devant 150.000 pékins survoltés, à la même affiche que les Stones, et deux ans plus tôt, l’Amérique les avait adoubés en opening act de la tournée des Who, tandis que Clapton en personne les engageait pour ouvrir son concert à Memphis. Eagle Rock Entertainment propose à présent cet apex de leur campagne européenne de l’été 76 aux formats CD+DVD (ou CD+Blu-ray), ainsi qu’en édition limitée double vinyle et DVD et vidéo numérique. Certes, le contenu était déjà connu des fans hardcore, du moins ceux ayant pu visionner “Freebird… The Movie”, film sorti en 1996, où l’on pouvait goûter des extraits de ce set, entrecoupés d’interviews. Cette fois, “Live At Knebworth ’76” le propose dans son intégralité et sans interruptions. En bonus, on trouvera sur le Blu-ray le documentaire “If I Leave Here Tomorrow: A Film About Lynyrd Skynyrd” sorti en 2018, retraçant par le menu la saga de ce groupe marqué par le destin, mais qui sut néanmoins se relever et perdurer (tant bien que mal) jusqu’à nos jours jour, cumulant plus de 30 millions de ventes pour une soixantaine d’albums (lives et compilations incluses). Il faut saisir au vol la fierté pugnace avec laquelle les choristes, attifées dans leurs atours du Sud, donnent la réplique à un Ronnie affublé de son chapeau de prédicateur de l’Ouest sur “Sweet Home Alabama” et “T For Texas”, ainsi que la furia contagieuse avec laquelle le gang boute le feu depuis le “Workin’ For The MCA” introductif jusqu’au “Freebird” de conclusion, en apothéose libératrice. Le temps n’attend peut-être personne, mais il sait aussi parfois rendre justice.

Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, March 14th 2021