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Luke Marantz, salué par NPR comme «l’un des plus brillants jeunes pianistes de jazz américains» et par DownBeat comme «un pianiste qui peint avec musicalité au clavier», apporte à ce projet d’une beauté saisissante une imagination discrètement radicale. Son jeu n’est ni démonstratif ni nostalgique; il se déploie au contraire avec une patience et une assurance qui révèlent un musicien pleinement conscient de sa propre voix. Cela seul suffit à donner envie d’écouter.
Son partenaire, le guitariste Simon Jermyn, arrive avec un pedigree solidement ancré dans les territoires les plus exploratoires du jazz contemporain. Présence de longue date au sein de l’écosystème avant-gardiste new-yorkais, Jermyn a collaboré avec des figures gravitant autour de l’orbite de John Zorn et au-delà, des musiciens tels que Jim Black, Chris Speed, Gerald Cleaver, Mat Maneri, Ingrid Laubrock, Tony Malaby, Anna Webber, Ben Goldberg, Allison Miller, Nate Wood et Tom Rainey. Ces affiliations comptent: elles signalent une esthétique où le risque, la forme et l’improvisation ne sont pas des forces opposées, mais interdépendantes.
Dès les premiers instants, l’album se présente moins comme un disque de jazz traditionnel que comme l’ouverture d’un film. Un décor sonore se met presque immédiatement en place, une scénographie finement éclairée qui capte l’auditeur et refuse de le lâcher. À peine commence-t-on à s’y acclimater que la musique bifurque. Le deuxième morceau ouvre un espace émotionnel et textural entièrement différent, montrant clairement que ce projet se nourrit du contraste. Les attentes sont doucement mais obstinément déstabilisées.
Au piano, Marantz travaille souvent à partir de figures répétitives, de motifs qui font écho aux traditions minimalistes tout en restant indéniablement marqués par le jazz. Ces motifs ne sont pas des boucles figées, mais des organismes vivants, subtilement remodelés par le toucher, l’harmonie et le temps. En contrepoint, la guitare de Jermyn oscille entre atmosphère et articulation, se fondant parfois sans couture dans la résonance du piano, parfois la traversant d’une clarté anguleuse. Il en résulte une musique à l’architecture délibérément complexe: les idées surgissent de plusieurs directions à la fois, et l’oreille cherche, avec jubilation, un centre stable.
Ce sentiment de désorientation féconde constitue l’un des grands plaisirs de l’album. L’ensemble paraît unique, immédiatement reconnaissable. On perçoit, de façon diffuse mais indéniable, l’influence d’artistes comme Vangelis ou Peter Gabriel, non par un emprunt stylistique direct, mais par l’ampleur cinématographique du son et son immédiateté émotionnelle. Comme dans leurs meilleures œuvres, l’espace y est pensé comme un récit et la texture comme un sens. Pourtant, rien n’est dérivé. L’«ailleurs» auquel cette musique fait signe appartient entièrement à ces deux musiciens.
Le jazz et le rock s’y entremêlent avec une assurance tranquille, rejoints par de subtiles traces de langages musicaux venus d’ailleurs. Rien ne semble forcé; les transitions sont organiques, presque inévitables. L’album occupe une zone liminale, quelque part entre le roman et ce que l’on pourrait appeler le cinquième art, le cinéma, où le son suggère une histoire sans jamais l’imposer. À cet égard, Marguerite Yourcenar apparaît comme une référence pertinente, quoique inattendue. Connue pour sa franchise érudite, elle répondit un jour à un journaliste de Radio France: «Permettez-moi de m’égarer.» Cette permission de digresser, d’explorer sans excuse, semble inscrite dans l’ADN même de cette musique.
Il ne s’agit pas simplement d’une suite de compositions, mais d’une véritable expérience d’écoute, d’un voyage dont la destination est volontairement laissée indéfinie. Il est difficile de ne pas s’interroger sur l’évolution de ce matériau sur scène. Les structures sont manifestement conçues pour respirer, laissant un vaste espace à l’improvisation et à la réinvention. On peut supposer qu’en concert, l’équilibre entre forme et liberté se déplacera sensiblement d’un soir à l’autre, modifiant le poids émotionnel et la logique interne de la musique.
D’un point de vue strictement personnel, cet album donne le sentiment d’un véritable commencement. Non pas simplement un premier disque, mais le chapitre inaugural d’une collaboration encore en mouvement. La forme et le contenu s’y rencontrent déjà avec une intelligence rare, révélant un cadre conceptuel perceptible sans jamais être épuisé. La substance entière demeure légèrement hors de portée, et cette retenue semble délibérée.
Le duo piano–guitare compte parmi les formats les plus délicats de la musique improvisée, exigeant une négociation constante de l’espace, des rôles et de l’élan. Ici, les fondations sont solidement posées. La suite demandera du temps: le temps de faire mûrir un langage commun, de l’éprouver sous la pression du concert, de transformer l’instinct en évidence. Si cet album est une indication fiable, ce processus pourrait bien placer Marantz et Jermyn parmi les voix les plus discrètement captivantes appelées à façonner les contours futurs du jazz contemporain.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, December 26th 2025
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Musicians :
Luke Marantz, piano
Simon Jermyn, guitar
Track Listing :
Echoes
Country
Hovering
Echoes II
Shori
Light Scatters Green
Echoes III
Passages
Echoes IV
All compositions written by Luke Marantz and Simon Jermyn and published by CAC Music Publishing (BMI).
Luke Marantz, piano, synthesizers, rhodes; Simon Jermyn, electric guitar and electric bass; Josh Dion, drums
Executive Produced by Chris Leon, Andrew Horowitz, Coyle Girelli, Julian Shore
Produced by Luke Marantz and Simon Jermyn
Recorded at MAV Studios in Brooklyn, NY
Engineered by Matt Marantz
Mixed by Matt Marantz
Mastered by Chris Leon at Boomtown Studios, Brooklyn, NY
Cover Photo by Luke Marantz
Album Design by Livia Blanc
