LUCKY LOSERS – Godless Land

Vizztone
Rhythm 'n' Blues
LUCKY LOSERS - Godless Land

Aux États-Unis, on appelle la date de parution officielle d’un album “street date”. Naguère le théâtre grouillant d’un fameux hit de Scott McKenzie, ainsi que celui des pérégrinations des tandems d’inspecteurs de police qu’y campaient Karl Malden et Michel Douglas, ou encore David Soul et Paul-Michael Glaser (alias Starsky & Hutch), les rues de San Francisco étaient quasi-désertes tandis que Cathy Lemons (native de Dallas) et l’harmoniciste-chanteur Phil Berkowicz (du New Jersey) enregistraient le quatrième album des Lucky Losers à San José (au fameux studio Greaseland de Kid Andersen). Et ce, pour cause de pandémie bien sûr, puisque la Californie figurait alors déjà parmi les pics de propagation de cette saloperie. Tandis que leurs trois précédents albums (“A Winning Hand” en 2014, “In Any Town” en 2016, et “Blind Spot” en 2018) leur valurent une pleine brassée d’Awards divers et variés, celui-ci ne devrait pas davantage passer inaperçu. S’ouvrant sur le très Sam & Dave “Half A Nothing” (entre “You Got Me Hummin’” et “I Thank You”, dans la veine de ce qu’Isaac Hayes et David Porter confectionnaient sur mesure pour le célèbre soul duo qui inspira tant les Blues Brothers), la plage titulaire (co-signée Cathy Lemons et Kid Andersen) s’avère un irrésistible gospel-blues cathartique façon “Smokestack Lightning”, où s’illustre avec panache l’harmonica de Berkowicz, tandis que la voix de ce dernier s’harmonise à merveille avec le timbre soulful de sa partenaire. On a déjà mentionné le compagnonnage que les Lucky Losers entretiennent avec Dany Caron (ex-guitariste et band leader du regretté Charles Brown). Ce dernier contribue ici à l’écriture de trois titres, dont “Mad Love Is Good Love” qui n’aurait déparé aucun LP d’Arthur Conley ou des regrettés Delaney & Bonnie. Ces derniers appelaient leur orchestre les Friends, et celui de Phil & Cathy ne démérite pas de la comparaison. “No Good Lover” repousse les limites du “I’m A Lover, Not A Fighter” de Lazy Lester, l’entraînant dans une course effrénée à travers le swamp, avant une reprise habitée du “Be You” de deux médecins émérites (Doc Pomus et Dr. John), dont nos tourtereaux incarnent le dialogue amoureux avec la sincérité qui les caractérise. Drivé par l’harmo chromatique de Berkowitz, le jump “Catch Desire By The Tail” dit bien ce qu’il dit: attrapez le désir par la queue, et Manif Pour Tous ou pas, fuck la pruderie! Pour bien enfoncer le propos, Chris Burns s’y fend d’un bref mais terrassant solo de barrelhouse piano pas prophylactique pour deux dimes, avant que Phil n’assaisonne le tout d’une généreuse rasade de napalm. “Ne laisser personne sur le bord du chemin”, proclamait Michel Rocard en des temps immémoriaux, et “Leave You On The Side Of The Road” en reprend le mantra, sans que l’on ait pour autant la douteuse impression de se trouver à un congrès du PSU. Faut dire qu’aucun socialiste n’a jamais su emboucher le bottleneck comme Kid Andersen, et cela fait assurément toute la différence. “Can’t Keep Pretending” reprend sans vergogne la trame du “You’re All I Need To Get By” d’Aretha Franklin, mais on ne s’en réjouit pas moins, avant l’inévitable procès qui pend aux nez de Caron et Berkowitz pour en avoir juste réécrit les paroles. Après tout, quand on se trouve attablé au restau, qui se soucie des querelles en cuisine? Le Delta blues mythique s’invite ensuite sans prévenir, et “My One Good Eye” active le mojo sur fond de rattlesnake shake et percus louches, dobro en phasing inclus. Nul doute que depuis sa semi-retraite, John Fogerty y reconnaîtra les effluves du Bayou Country dont il célébra sa vie durant les vertus miasmatiques. Dans la veine de Tampa Red et Julia Lee, le rétro ragtime “What Makes You Act Like That” offre à Phil Berkowitz l’occasion d’imiter entre ses lamelles le son du cornet, tandis que les 88 touches de Chris Burns y évoquent celles de Big Maceo. Le cœur dévasté mais toujours vaillant, Cathy Lemons ferme le ban sur “The Ragged Heart”, quelque part entre Christine Lakeland et J.J. Cale. À l’arrivée, un disque résilient au possible, aussi paillard, pue-la-sueur, mal léché et acerbe que bon-vivant. Que Dan Aykroyd (aka Elwood Blues) en soit fan revendiqué ne présente rien d’étonnant: c’est leur meilleur album à ce jour, il n’y a pas à barguigner. Ne cherchez plus le vaccin contre le (ou la) coronavirus (bière infâme, au passage), ce machin n’a désormais plus qu’à bien se tenir. C’est où qu’on signe?

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 30th 2020

::::::::::::::::::::::

LUCKY LOSERS – Godless Land : un duo à découvrir sur le site de Bluestown Music, ICI

Site internet des LUCKY LOSERS: ICI

THE LUCKY LOSERS
2019 Independent Blues Award Winners
Best Blues-Soul Artist