Americana |
Au départ, on ne se méfie pas vraiment, tout juste si l’on renâcle un peu. Vrai quoi, des covers de Dylan, depuis Peter, Paul & Mary, les Byrds et autres Long Ryders, ce qu’on a pu en souper (yawn)… Et du coup (comme disent les chroniqueurs de France Inter pour agacer leurs auditeurs issus de l’Éducation Nationale), on ne la voit pas venir en mode matois, la nouvelle égérie contrariée de l’alternative country. Car loin de l’hommage compassé (souvent de rigueur en pareille circonstance), la Williams n’a pu s’empêcher de vampiriser le songbook sacré, sans y abdiquer toutefois la légitime révérence que ce dernier impose aux masses. Et dès le cahotant “It Takes A Lot To Laugh, It Takes A Train To Cry”, on comprend que l’option ne se résoudra pas à la simple sainte onction. Les riffs dirty blues qu’y assènent les six cordes de Stuart Mathis et l’orgue funèbre de Tim Lauer (sur le beat buté qu’imprime une section rythmique manifestement monomaniaque) offrent à la patronne une première occase de feuler comme elle se l’autorise de plus en plus souvent ces derniers temps. “Everything’s Broken” déboule ensuite sur un pattern façon “Shakin’ All Over”, et l’on a soudain l’impression d’ouïr Wanda Jackson produite par les Cramps. Echo-delay sur surf guitar façon Dick Dale et consorts: bon sang, mais ce sont les rockabilly roots de Zimmermann que l’on exhume ici! Issu de “‘Oh Mercy!”, “Political World” persiste huit minutes durant dans cette veine iconoclaste, entre Bo Diddley et le Gun Club, pour un périple risqué parmi les marais hantés, le timbre pâteux de la Lady y adhérant comme un gant poisseux, tandis que son équipage l’escorte à la lueur de torches chancelantes. Tout ceci s’achève dans le choogle lointain d’un train de marchandises et le souffle lugubre du vent, avant que “Man Of Peace” n’emprunte son riff bancal à Howlin’ Wolf, pour rappeler à point nommé que Dylan s’appuya d’abord sur le Butterfield Blues Band, quand il résolut d’envoyer paître les birbes du folk qui lui collaient aux guêtres. Pour bien enfoncer le clou, Mathis et le bien nommé Joshua Grange y défouraillent de concert slide et wah-wah à la serpe, tandis que Hugues Aufray en laisse échapper sa pipe en terre… La Lucinda Williams des gueules de bois dégoise ensuite un “Not Dark Yet” hagard à souhait, tandis que ses hommes passent la serpillière et le balai. Madame n’a pas encore complètement dessaoulé pour un “Meet Me In The Morning” évoquant la version qu’en rendit en son temps le grand Freddie King, et quitte à célébrer le blues, “Blind Willie McTell” prend ici les atours du standard “House Of The Rising Sun”. “Tryin’ To Get To Heaven” ramène Dame Lucinda en terrain familier, avant que “Queen Jane Approximately” ne restaure les âpres fastes de “Highway 61 Revisited” (orgue kooperien inclus), et que le terrassant “Idiot Wind” du bien intitulé “Blood On The Tracks” ne vous administre le proverbial coup du lapin. Débuté le mors aux dents, cet album se conclut sur le “Make You Feel My Love” dont tout le monde (de Bryan Ferry à Will Porter) semble se gargariser de nos jours. Ce qui ne lui ôte pas grand chose au demeurant.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, November 9th 2021
:::::::::::::::::::
Lucinda WILLIAMS – Lu’s Jukebox Vol 3: Bob’s Back Pages: A Night Of Bob Dylan Songs
Recommandé par votre rédacteur en chef, la version 2 LP (gatefold – side 4 etched), à commander chez Juno Records, ICI
Disponible en version CD et vinyle à la FNAC: à commander ICI