LOUISIANA RED & BOB CORRITORE – Tell Me ‘Bout It

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Blues
LOUISIANA RED & BOB CORRITORE - Tell Me 'Bout It

Iverson Minter Jr, plus connu sous le sobriquet de Louisiana Red… Né à Vicksburg, Mississippi le 23 mars 1936 (bien qu’il ait également prétendu être né quatre ans plus tôt à Bessemer, Alabama) et décédé à Hanovre, si loin de ses funestes terres natales, fin février 2012. Nombre de ses drames personnels furent largement documentés (il perdit sa mère dès son premier anniversaire, et son père fut ensuite lynché sous ses yeux quelques années plus tard), et l’on put y déceler la source de son caractère tourmenté. Je n’oublierai pour ma part jamais l’avoir programmé au Grand Mix, dans ma ville natale de Tourcoing, en mars 1999. Dans une pénombre savamment entretenue et devant une modeste cinquantaine de spectateurs, il y délivra une performance solo empreinte d’une pénétrante émotion. Quand je lui demandai ensuite à quoi il lui arrivait de penser quand il se produisait ainsi en public, il me souffla dans un murmure: “À mon père, je me revois quand j’étais enfant…”, et quand son épouse d’origine nigérienne (qui lui servait à la fois de chauffeur, d’assistante et de manager) le reprit en lui assénant: “Tu ne réponds pas à la question, ce n’est pas ce que ce jeune homme t’a demandé”, il la rabrouait en ces termes: “Femme, c’est mon interview, je réponds ce que je veux”. Un peu sans doute comme pour les sets mythiques du Velvet Underground à ses débuts, tous ceux qui assistèrent à ce concert en parlent encore des trémolos dans la voix… À Phoenix, dans l’Arizona, un rejeton d’immigrants italiens, lui-même natif de Chicago, se vit un beau jour confier la gérance d’un club situé en périphérie de la ville. Le baptisant le Rhythm Room, Bob Corritore s’y emploie depuis des décennies à y programmer ce que la scène blues historique et contemporaine compte de talents errants. Harmoniciste émérite, cet activiste forcené ne manque jamais de se joindre à ses invités lors de leur passage, et ne néglige que rarement d’en profiter pour enregistrer ces prestations. La série “From The Vaults” qui en résulte comprend une bonne quinzaine de titres à ce jour (featuring un panel s’étendant du regretté Henry Gray à Dave Riley, en passant par Kid Ramos et John Primer, entre autres). Pour ce nouveau volet de ses archives personnelles, il a sélectionné onze plages captées entre l’an 2000 et 2009 (dont sept totalement inédites). Dès le “Mary Dee Shuffle” introductif, la rythmique qu’impriment Brian Fahey et Mario Moreno imprime le sceau du Chicago South Side le plus moîte, où le piano virevoltant de Matt Bishop et l’harmo brûlant du taulier prodiguent au timbre vigoureux de Louisiana Red l’écrin qui lui sied. Les six cordes de Buddy Reed ne sont pas en reste, et on s’imprègne là sans conteste de l’univers de Muddy Waters. L’inédit “Early Morning Blues” plonge plus profondément encore dans cette veine, tandis que Red y épouse les licks de slide qu’assénait McKinley Morganfield en son temps, et que les lamelles de Corritore en font autant avec celles de Big Walter Horton. La versatilité du bonhomme s’exprime ensuite au fil du swamp “Alabama Train” (auquel l’harmo de Bob boute encore le feu), mais “Caught Your Man And Gone” et “New Jersey Blues” renouent bien vite avec le Memphis Chicago blues du Wolf (hululements à l’appui). Comme sur une bonne moitié des titres, c’est le grand Chico Chism qui officie aux balais, délivrant le beat tour à tour déterminé ou cahotant qui sied si bien au genre. Sans show-off inopportun, le solo de Buddy Reed s’y avère aussi goûteux et concis que pertinent, mais c’est à Johnny Rapp qu’il revient ensuite de soutenir le Red pour un “Freight Train To Ride”, où sa slide et son chant évoquent le ton rageur du regretté Elmore James. Créditée à son ultime épouse, Dora, la plage titulaire se range à nouveau du côté du natif de Rolling Fork découvert sur la Stovall Plantation, de même que “Earline Who’s Been Foolin’ You” (où l’harmo de Corritore ranime le spectre de Junior Wells) et “Edith Mae”, digne de ce que dispensait Muddy vers la fin des fifties (avec à nouveau cette slide à hérisser l’échine, et un Chism au petit poil), dans l’esprit de son “Nineteen Years Old”. Ce disque épatant se referme sur une version de son standard “Bessemer Blues”, suivi d’un “Bernice Blues” plus Morganfieldesque que jamais… Amateurs éperdus de Chicago blues grand cru, cette année débute avec un authentique classique du genre… Si vous aviez oublié quels frissons peut procurer cette musique, voici donc venue l’heure des révisions.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, January 27th 2022

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