Rock |
Qu’y a-t-il de plus pénible au monde que d’être catalogué has-been? Je vous le donne en mille: être considéré comme un “could-have-been”… Et de Jo Lebb à Daniel Darc, notre Doulce Phrance en a produit des containers et des wagons entiers. Prenez Lou Demontis, tiens, propulsé à l’entresol de la gloire dès son premier band, les (très oubliés depuis) Ciné Palace. Un album chez Philips (en 79), puis, de promesses non tenues en triomphes éphémères, l’affaire tourna vinaigre. Quand l’éventualité d’une rédemption solo vira également en miroir aux alouettes, notre homme remisa son tablier de rock-star putative pour celui, moins glamour (mais quelque peu moins risqué) d’A&R pour divers labels, dont celui qu’il fonda en personne, Outlaw Records. Croyant son heure revenue, il s’élança ensuite durant les 90’s à la tête d’un nouveau band, Flame Tattoo. Nouvel échec commercial, et les années 2000 le virent donc resurgir enfin en solo, avec “Never Say Never” en 2008 (profession de foi s’il en fut) puis “On The Avenue” en 2012. Une performance remarquée au Printemps de Bourges, et puis… le silence. Une furtive mais significative réapparition l’an dernier pour un concert au Troubadour de Londres laissait pourtant supposer que le feu couvait encore sous la braise, comme le confirme à présent ce nouvel E.P. six titres. Manifestement bricolé avec la foi du charbonnier et les moyens du bord, mais n’en recélant pas moins cinq authentiques pépites de taille. En guise de mise en bouche, on citera d’abord cette rock-ballad à la douze cordes, stonienne en diable, “Calling Out My Angel” (remember “Sitting on A Fence”?), et la non moins poignante “I Know You Know”, sans omettre le “Now You’re Gone” d’ouverture, aux accents réminiscents de Garland Jeffreys, ainsi que la plage titulaire. Mais son Everest demeurera sans doute pour la postérité ce pétrifiant “If I Loose You Win”, qui concentre l’essence de cette pop ciselée dont Roy Orbison, Jack Nitszche et Phil Spector déposèrent les canons voici six bonnes décennies. Castagnettes languides à l’appui, cette imparable vignette n’aurait en effet pas déparé les premiers enregistrements de Southside Johnny, ni ceux de Willy De Ville. Three minutes tragic romance: de cette étoffe dont on tisse les classiques, et après laquelle coururent (hélas trop souvent en vain) les Flamin’ Groovies… What a cryin’ shame que la production, forcément DIY (comme l’époque funeste l’y soumet), ne permette pas d’y ériger le dôme ou la stupa qui lui reviennent de plein droit. N’empêche, ce type prouve une bonne fois pour toutes qu’il avait tout compris de la geste comme de l’esprit d’un certain rock millésimé. Il existe bien une troisième catégorie pour les artistes en son genre: les “shoulda-been”… Le Boulevard du Crépuscule recèle effectivement de bien beaux secrets.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, December 15th 2020