Little Bob – Time to Blast

Dixiefrog Records / Harmonia Mundi – DFGCD 8668
Rock
Depuis combien de temps roule-t-il, notre Little Bob? Putain, quel chemin parcouru depuis le premier single, ‘Don’t Let Be Misunderstood’, sorti chez Arcane, en 75, un single que je possédais et qu’un connard de cambrioleur m’a chouré lorsque je créchais à Paris, y’a…, y’a un bail déjà, tout comme ce bail longue durée que Little Bob a signé et que personne ne vient chercher à lui résilier tant le mec est fiable, pugnace et direct mais fiable, et c’est sans doute ce truc en plus qui fait que Little Bob continue non seulement à être aimé, mais à drainer les fous de blues-rock partout où il passe. Et c’est pourquoi aussi chaque album que sort notre Bob national est un événement, parce que le bougre reste fidèle à sa ligne, celle de la bonne zik, celle qui vient de là, du cœur, et qui vous touche là, au cœur, aux tripes, à l’âme.
 
Et pis, cerise sur le gâteau, ce ‘Time to Blast’ est beau, d’entrée, superbe avec son taureau rageur en couv du digipack. Un signe vous diront certains, signe que le Little Bob il est en pétard contre tout ce qui ne colle pas, en ce moment, dans notre société, et qu’il aimerait bien lui rentrer dedans, dans cette société qui brise, qui casse, qui gonfle, et contre laquelle seul un taureau en furie pourrait faire quelque chose.
 
Un signe aussi, vous diront d’autres, parce que Little Bob et moi on est nés tous deux sous le même signe, celui du taureau, et que peut être déjà rien qu’à cause de ça y’a des trucs qu’on partage, comme ce ‘Scream Inside’, ce cri intérieur qu’on voudrait pousser alors qu’on est au milieu de la foule. Le titre vous prend là, à la gorge, avec ses rythmes saccadés, ses changements de tempo et cette basse qui vous perfore jusqu’à l’os. C’est massif et comme toujours, chez Little Bob, fidèle au rock et au blues des 70’s, avec ces nappes d’orgue, ces envolées de gratte, ce son qui balaie tout sur son passage et qui vous colle des baffes, comme au temps où l’on jouait au ringolevio, ce sport de rue que l’on pratiquait dans le quartier de Brooklyn.
 
Hé oui, comme le chante Little Bob, ‘Ringolevio is far away’ (4ème titre, précision oblige) et on en viendrait presque à se demander si notre Roberto n’a pas été balayé par un vent de nostalgie mais les titres comme ‘I’m Alive’ ou ‘Take it as it comes’ vous font revenir sur terre illico car il est là, et bien là, le bougre, sans accepter que quelque chose vienne parasiter son message.
Toujours jeune, éternellement jeune, Little Bob nous a fait vivre à travers ses nombreux albums ses dizaines de vie (le féroce ‘Livin’ in the Fast Lane’ en 77, le somptueux ‘Lost Territories’ en 93, avec Kenny Margolis aux claviers – et pour ceux qui se savent qui c’est, fouillez, allez, cela vous apprendra ! –, et le sublime ‘Rendez-vous in Angel City’, entre autres, avec un certain Steve Hunter à la guitare. Hé oui, respect, M’sieur Little Bob!), mais jamais le mec n’a abdiqué et jamais, contrairement à tant d’autres chanteurs de l’hexagone, il n’a trahi l’essence de ce qui le porte, de ce qui le fait vivre. Toujours il a fait face. Trop petit, trop rock, trop looké, trop punchy, trop blues, Little Bob n’a jamais triché et l’a payé, cash, toujours à la marge des médias, mais le front haut, et les fans derrière, comme dans le poème de Prévert.
 
Comme sur tous les albums de Little Bob chaque titre est bien à sa place, comme ce ‘The Phone Call’ en amorce, en mèche, en premier titre, avec son boogie endiablé, hargneux, suivi par un ‘Big Boy Walking’ où la rythmique vous enfonce les clous jusqu’à la moëlle avant que la basse ne vienne vous faire tanguer sur ‘Take it as it comes’, chanson réellement sublime dans laquelle Little Bob affronte les codes de notre société formatée pour écrire une chanson digne de ce nom, vous disant combien et comment vous vous devez d’y croire, quels que soient les obstacles de la vie. Ecoutez le piano, envoûtant, puis remettez-vous en à la parole de Little Bob et croyez-en vous, bordel, car vous valez mieux, bien mieux que tous ces cons qui cherchent à vous pourrir la vie.
 
Mais dans cet album proposé sous le signe du taureau, aussi hargneux soit-il, flotte une âme, celle d’un homme fidèle à son engagement et à sa musique, qui sait rendre hommage et saluer ses pairs, avec cette reprise de ‘Guilt’ de Barry Reynolds et que chantait Marianne Faithfull, et cette seconde reprise proposée en dernier titre de ce ‘Time Blast’: une monumentale interprétation de ‘Devil Got My Woman (I’d Rather Be The Devil)’ de Skip James, qui fait de cet album non plus un très bon enregistrement, ou un excellent CD, mais un objet de culte.
 
Ce disque est la pépite que l’on attendait, que j’attendais, inventaire rageur de ce que le rock a de transcendé, et le blues d’habité. Et signe de reconnaissance, sous le signe du Taureau.
 
Un album étourdissant, qui vous vole dans les plumes.