Rock |
Depuis plusieurs décennies que je m’efforce désespérément d’enfiler le costard de rock-critic et que je chronique de façon laudative et dithyrambique (à juste titre), toutes les productions discographiques de mon ami de longue date, le très prolifique Roberto Piazza, quelque peu perdu de vue ces dernières années, mais toujours bien présent dans mon cœur, entre ses cavités supérieures et inférieures, et toujours bien présent dans mon âme, entre l’archange et le petit diablotin qui se tirent la bourre et qui me tiraillent sans vergogne vers des sphères spirituelles. Moi qui jadis avais écrit une longue lettre à Bob, envoyée dans son antre de la rue des Chantiers au Havre, en lui indiquant fébrilement et timidement que j’écoutais au minimum 3 heures par jour le rock’n’roll de Little Bob Story, dans ma petite piaule dont les murs doivent toujours s’en souvenir, eux qui ont souvent tremblé aux riffs et aux décibels de High Time, So Bad, Little Big Boss ou encore Riot in Toulouse… Trembler à s’écrouler comme un vulgaire château de cartes. C’était ma came, mon lupanar, ma galerie des Glaces de Versailles, mon irréversible addiction. Et lorsque quelques années plus tard, j’écrivis régulièrement et avec assiduité dans le fanzine Ringolevio New’s du fan-club Little Bob (Story), j’étais aussi fier et honoré, que si j’avais fait l’acquisition du bar-tabac Le Balto, face à la gare de Villiers-le-Bel ou d’un food truck place de la Mairie de Gonfreville-l’Orcher, ou bien que j’eusse sauté à l’élastique du haut du Pont de Tancarville ou traversé la Manche à la nage entre Le Havre et Portsmouth. C’était mon Graceland, ma quête du Graal qui se réalisaient. J’apportais ma modeste pierre à l’édifice, mon humble appui à une légende, à un monstre sacré du rock et du blues, à Monsieur (avec un grand M) Little Bob. La terre pouvait bien se dérober sous mes pieds, je m’en contrefichais comme de ma première liquette. Alors aujourd’hui, pour chroniquer cet album majeur et mythique de la Story, Too Young To Love Me, de 1984, que l’incontournable et précieux Thierry Cattier, audacieux taulier du label Cat Records, a eu la bonne idée de rééditer et d’agrémenter de quelques bonus tracks, je vais essayer de ne pas être trop répétitif et de ne pas réécrire pour la énième fois, tous les superlatifs déjà utilisés pour d’écrire l’œuvre considérable de Little Bob Story et Little Bob (solo & Blues Bastards) et toutes les métaphores, sorties sans filtre de mon cerveau en ébullition, pour prêcher la bonne parole d’une certaine idée de la droiture, de la sincérité et du talent au sein du microcosme du rock hexagonal, malgré son manque de racines, de culture musicale et de vécu et malgré la désaffection récurrente des grands médias pour cet art que je qualifierais de majeur.
1984, alors que la France entière et les journalistes dits spécialisés ont pour le groupe Téléphone les yeux de Chimène, voire les yeux plus gros que le ventre, entre honteuses génuflexions et absurdes fellations à répétitions, avec l’album Un Autre Monde qui pour moi n’avait rien de bandant, Bob et son gang de morts de faim et de desperados du rock échappés du Cartel de Medellin, un gang composé du regretté et flamboyant Guy-Georges Gremy (guitare), du toujours fidèle Gilles Mallet (guitare), le Keith Richards français aux riffs surexcités, de Nico Garotin (batterie) et François Géhin (basse), qui assuraient une rythmique à la fois métronomique et sophistiquée, à la précision chirurgicale et diabolique, que n’aurait pas reniée le Docteur Mabuse en personne, sortaient l’album Too Young To Love Me, sur la major de l’industrie musicale de l’époque: Pathé Marconi EMI. Déjà, rien que la pochette du 33 tours avec le cliché du photographe Paul Bella, imposait le respect et donnait le la d’un album somptueux, qui sonnait très rock teigneux d’outre-Atlantique, très urbain, très NYC, très Brooklyn, très Manhattan, avec une production soignée sans être édulcorée, bref aux antipodes d’un rock fade et passe-partout, à destination de garçons-coiffeurs en quête de sensations fortes et de montées d’adrénaline ou de lycéens acnéiques et pubères. Pour une fois, la maison de disques semblait avoir mis les moyens, brisant le nourrain et taquinant la célèbre caisse là où est l’écureuil, sortant le chéquier pour que Little Bob Story enregistre enfin un album dans des conditions optimales et surtout pour assurer une promotion digne de son standing, mais malheureusement, l’histoire nous prouvera le contraire. On pouvait cependant croire à l’illusion et aux contes de fées, avec à la production de Too Young To Love Me, Southside Johnny du New-Jersey, la plus belle voix blanche du rhythm and blues et de la soul music et Thom Panunzio, qui commença sa carrière de producteur et d’ingénieur du son aux Record Plant Studios de New-York City, puis à la Factory, en collaborant entre autres avec John Lennon, les Rolling Stones, Bruce Springsteen de la grande époque, Motörhead, Iggy Pop, Tom Petty, The Who… pour arriver jusqu’à notre petit Bob national, ou plutôt international. Excusez du peu! Cet opus de LBS transpirait, suintait, empestait toute la détermination et la dangerosité du rock’n’roll, le groove et le feeling, la sueur, le sang, la bière tiède et bon marché, les vapeurs de single malt et les volutes de cigarettes introuvables chez un buraliste lambda. Et cette voix de Bob, quelle voix! XXL, magistrale, hors du commun, venue d’ailleurs, l’une des plus belles, sinon la plus belle du rock français et du rock tout court. Incroyable! Sur cet album stratosphérique de la Story, je regrette simplement qu’il n’y ait pas eu de duos ou de collaborations musicales, je pense notamment à un duo de Bob avec Southside Johnny sur Too Young To Love Me ou Shoot Me Down, à un duo de Bob avec Willy DeVille sur Ever Blue qui sonne très Golfe du Mexique avec Mariachis et tequila, à la Gretsch de Brian Setzer sur Say No More qui sonne très Stray Cats. Mais ne boudons pas notre plaisir avec une pléiade de musiciens additionnels et prestigieux comme Kenny Margolis (Mink DeVille band) aux claviers, Louis Cortelezzi (Mink DeVille band) au sax, et plusieurs cuivres rutilants transfuges de chez Southside Johnny. A noter la reprise de Marc Minelli, autre figure de proue du rock havrais avec So Crazy et 5 bonus tracks dont Hurt So Badly, face B du 45 tours Too Young To Love Me et 4 titres live inédits de la tournée 1985, dont la ballade Moving Slowly In The Dark qui était sur l’album Vacant Heart de 1982, We Gotta Get Out Of This Place des Animals (1965) et I Can Only Give You Everything de Them (1966). A l’écoute de ce magnifique album, l’un de mes préférés de Little Bob Story avec Living In The Fast Lane de 1977, on peut vivement regretter que Pathé n’ait pas mis le paquet pour la promo et pour qu’il soit certifié disque d’or au minimum, avec une grande tournée hors de nos frontières, etc… Pathé sur ce coup-là, a semblé être hors sujet, hors-jeu, ne sachant pas très bien comment gérer un groupe de rock du calibre de Little Bob Story en se la jouant petit bras. C’est la France et c’est vraiment dommage, voire frustrant! Ce disque, dès sa sortie, aurait dû déclencher des émeutes urbaines, avec cordons de CRS devant les disquaires pour contenir et calmer les fans de l’unique groupe français respecté outre-Manche avec les Dogs de Rouen. Mais pour ceux qui seraient passés à côté de cette pépite, volontairement ou involontairement, il est encore temps de se rattraper et de faire amende honorable, en faisant dare-dare l’acquisition de Too Young To Love Me réédité par Cat Records, ça vous évitera une punition infamante imposée par les Dieux du rock, à savoir les plumes et le goudron! A 78 piges, les cheveux un peu plus blancs, quelques rides supplémentaires sur le visage, la légende Little Bob perdure pour notre plus grand bonheur, contre vents et marées, malgré les sarcasmes de la vie qui ces dernières années ne l’ont pas épargné, sorti cabossé et le cœur qui saigne de ces épreuves, la voix, la passion, la colère de l’éternel rebelle et la flamme dans le regard sont toujours bien présentes! Bob s’avère de plus en plus précieux et son blues trituré à la sauce Piazza, entre Howlin’ Wolf et Captain Beefheart, de plus en plus capital. Le havrais semble inébranlable, indéboulonnable, insubmersible. Merci infiniment Bob d’exister, tout simplement, sans concession, et surtout de rester un homme libre et intègre. Album absolument INDISPENSABLE!
Serge SCIBOZ
Paris-Move
PARIS-MOVE, October 24th 2023
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LITTLE BOB STORY – TOO YOUNG TO LOVE ME – CD DIGIPACK
Référence CAT045
Too Young To Love Me – Shoot Me Down – I Can’t Stand It – So Crazy – Wanderers, Followers, Lovers Johnny And The Devils – Little Prayer – Say No More – 24 Hours Of Lies – Ever Blue
Bonus Tracks :
Hurt so Badly (face B 45t inédit) – Shadow Girl – Moving Slowly in The Dark – We Gotta Get Out of This Place – I Can Only Give You Everything (Live 1985)
℗ 1984 Parlophone / Warner Music France, a Warner Music Group Company