Ethno-blues |
Et si, en raison de sa légendaire dyslexie rythmique, c’était finalement Howlin’ Wolf qui avait posé les bases du reggae? Ce claudiquant et typique contretemps pré-existait en effet dans la musique de Chester Burnett une bonne décennie et demi avant que les Jamaïcains ne l’adoptent, et que Lee Scratch Perry, Toots Hibbert, Desmond Dekker et Bob Marley ne le popularisent à l’international. C’est en tout cas ce suggère la fusion que pratique Bernard Alexander (alias Skip McDonald, aka Little Axe) sur cet album au titre d’une acerbe lucidité (son septième, sur un total d’une douzaine). Né en septembre 1949 à Dayton dans l’Ohio, et rejeton d’un bluesman amateur qui y travaillait dans une aciérie, le jeune Bernard commença par tâter du jazz, du gospel et du doo-wop, avant de migrer pour New-York et d’y former Wood Brass & Steel avec le bassiste Doug Wimbish et le batteur Harold Sargent, et d’enregistrer deux albums sous ce vocable avant leur séparation en 1979. Skip devient ensuite membre de l’équipe de session men du label new-yorkais Sugarhill, au service duquel il pose anonymement sa guitare sur maintes productions, dont l’acte de naissance officiel du hip-hop, “The Message” de Grandmaster Flash And The Furious Five. Après cette expérience, il forme avec son ami Wimbish et le batteur Keith LeBlanc le noyau de Tackhead, ensemble dub-indus agrégé autour du chanteur Gary Clail (puis de Bernard Fowler, choriste des Rolling Stones depuis trois décennies), tout en multipliant les collaborations sous la houlette du producteur anglais Adrian Sherwood. C’est ainsi qu’on retrouve sa patte sur des albums d’African Head Charge, Mark Stewart et Daby Touré. Après trois disques publiés sous son propre moniker sur le label de Peter Gabriel (Real World), c’est l’étiquette maison d’Adrian Sherwood qui orne ce mix audacieux de deep Mississippi Blues et raggamuffin. Les reprises du classique “Amazing Grace” et du “Keep On Drinking” de Leadbelly y côtoient une douzaine d’originaux (dont trois instrumentaux). Si la slide et le trémolo profond de Skip les ancrent toujours pour bonne part dans son héritage gospel et blues, la rythmique que leur impriment l’excellent bassiste George Oban et le batteur Style Scott présente toutes les caractéristiques du reggae-dub bon teint, tandis que l’harmonica du britannique Alan Glen (connu pour ses collaborations avec les Yardbirds, Nine Below Zero, Dr. Feelgood, les Barcodes et les Incredible Blues Puppies) tisse des passerelles entre Delta-blues et Augustus Pablo, et que deux autres formations (les Roots Radics et le Dub Syndicate) officient en backing band sur la moitié des plages. Développant deux ans plus tôt une démarche similaire en samplant des hollers traditionnels pour les assaisonner à la sauce électro, le New-Yorkais Moby n’avait pas tardé à en faire son miel, tandis que Little Axe demeure de nos jours encore un musicien de l’ombre. Mélanger ainsi spliff et moonshine whiskey ne semblait pourtant pas une proposition dénuée d’intérêt… Un bien bel album, recommandé aux oreilles curieuses.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, February 7th 2021