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Encore un trio magique du label ACT, Lars Danielsson étant un de mes musiciens européens préférés, a la fois pour la très grande qualité de son travail personnel et de son talent d’arrangeur musical étant capable de s’affranchir de tous les styles, et là encore il est le lien entre l’Orient et l’occident. Le jeu de piano souvent très complexe de Leszek Możdżer se retrouve ici dans un univers où il peut aisément donner une autre facette de son univers, ce qui est une excellente chose, et Zohar Fresco semble donner le ton des composition et des rythmes. L’auditeur se laisse rapidement embarquer dans cette aventure, qui est loin d’être la première, puisque dès 2004, lorsque Leszek Możdżer, Lars Danielsson et Zohar Fresco se produisirent ensemble pour la première fois à Varsovie, peu auraient pu prédire que ce trio deviendrait l’une des formations les plus durables et les plus acclamées du jazz européen. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, ils reviennent avec Beamo, un album qui non seulement confirme leur talent, mais ouvre également un nouveau chapitre audacieux de leur histoire musicale.
Selon Leszek Możdżer, le titre de l’album est “un jeu, un code, et c’est à l’auditeur d’en déchiffrer le message caché… Il pourrait faire référence au mot latin amo, symbolisant l’amour, ou à beam, évoquant un rayon de lumière. C’est une énigme, un manifeste multidimensionnel – et le poème le plus court qui soit.”
Chaque morceau de Beamo raconte une histoire unique. Dans Kurtu, une désintonation délibérée instaure une tension émotionnelle, tandis que Ambio Bluette explore la dualité tonale à travers le jeu des mains gauche et droite de Możdżer. Catusella rend hommage à la composition emblématique Asta de Danielsson sur le premier album du trio, The Time, en fusionnant deux pianos accordés différemment dans un dialogue harmonieux.
Vous l’aurez compris, cet album s’adresse a un public averti, car il vous invite à fouiner dans les moindres recoins de cet opus qui est, de plus, complexifié à la fois par des arrangements savants et par le direction qu’a pris le pianiste pour cet album, car au cœur de Beamo se trouve une expérience extraordinaire sur la tonalité. Leszek Możdżer redéfinit les conventions établies par les maîtres des XVIIe et XVIIIe siècles comme Bach et Rameau, s’affranchissant du système de tempérament égal, qui divise l’octave en douze intervalles égaux. Bien que ce système ait dominé la musique pendant des siècles, Możdżer en conteste les limites, le qualifiant de “pixellisation douloureuse de la musique, réduite à douze tons obligatoires.” Pour Beamo, il utilise trois pianos à queue aux accords distincts: l’un accordé au standard moderne de La=440Hz, un autre à La=432Hz, et un troisième en accord décaphonique, divisant l’octave en dix intervalles égaux. Cette approche ne renonce pas à la tonalité, mais la réinvente, créant une instabilité harmonique à la fois intrigante et profondément belle.
Cette “décaphonie” est vraiment le lien qui intervient entre les lignes et peut être assez perturbant pour un public peu aventureux des univers sonores divers et variés. Cet album demandera rapidement un effort à l’auditeur, car nous sommes dans un univers de musiciens capables de vous emmener très loin dans leur façon de véhiculer la musique, ce qui fait que cette difficulté que l’on peut éprouver à certains moments à l’écoute de l’album deviendra très probablement une évidence en concert. Pour bon nombre d’entre vous le premier plaisir sera donc l’écoute de ce trio en concert, ce qui vous permettra ensuite d’apprécier pleinement cet album en revivant ses moments les plus intenses avec joie. “Indispensable” album qui se glissera dans votre discothèque et deviendra rapidement une de ces pièces rares dont vous pourrez être fier.
Thierry De Clemensat
USA correspondent – Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, February 26th 2025
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