LESTER BUTLER Featuring 13 – Live @ Tamines 1997

Rockbeat
Blues
LESTER BUTLER Featuring 13 - Live @ Tamines 1997

Initialement formés sous l’appellation de Stumblebums (puis Blue Shadows), les Red Devils bousculèrent, le temps de leur brêve existence, la bourgeonnante scène blues de Los Angeles. Au point que près de trente ans plus tard, nombre d’aficionados leur vouent encore un culte immodéré. Il faut avouer que le groupe comportait tout ce qu’il faut pour alimenter la légende: un leader charismatique, des membres aussi soudés qu’un gang de bikers (dont ils affichaient également le look), et un following dédié à en propager le buzz sur toute la Côte Ouest. Un seul album officiel témoigne toutefois de leur impact réel, le très justement célébré “King King”, enregistré chaud bouillant début 1992 dans le club où ils tenaient résidence chaque lundi soir. Produit par Rick Rubin en personne (sur son label Def American), cet enregistrement étendit leur réputation jusqu’en Europe, et il secoue encore les murs à chaque écoute. L’harmoniciste et chanteur Lester Butler (frontman aussi intense que possédé), le jeune guitar-slinger texan Paul Size (19 ans à l’heure des faits), le batteur Bill Bateman et le pianiste Gene Taylor (tous deux transfuges des Blasters), y dynamitaient littéralement une douzaine de titres (dont une version titanesque du “I Wish You Would” de Billy Boy Arnold, qui inspira ensuite Hook Herrera). Un public parfois néophyte comprit alors pourquoi d’aucuns qualifiaient le blues de musique du diable. Hélas, la frénésie qui s’orchestrait tant au sein du groupe que parmi son entourage finit par en avoir bientôt raison. Avant de se dissoudre dans l’amertume et les rancœurs, les Red Devils avaient eu le temps d’effectuer une tournée nationale de 120 dates (y ouvrant pour des pointures telles que ZZ Top, Los Lobos et les Allman Brothers), et aussi d’enregistrer avec Mick Jagger une bonne vingtaine de prises, en une session marathon de treize heures d’affilée. Écartées par agrément entre le Stones en chef et sa major (au profit de sessions plus formelles qui produisirent son troisème album solo, “Wandering Spirit”), ces plages ne circulent depuis que sous le manteau (une version quasi-exhaustive, comprenant pas moins de neuf alternative takes, est notamment parue sur le pseudo-label tchèque Rabbit Records). Il est frappant de mesurer à quel point ces reprises de standards de John Lee Hooker, Muddy Waters, Rice Miller, Willie Dixon, Elmore James, Bukka White, Little Walter et T. Bone Walker préfiguraient alors le fameux “Blue And Lonesome” que les Stones se résoudraient à enregistrer un quart de siècle plus tard (avec cependant moins de panache). Après deux brêves incursions européennes et quelques apparitions en tant que backing band de l’acteur Bruce Willis (au club Planet Hollywood), le ver qui rongeait déjà les Red Devils finit par les pourrir irrémédiablement. Toxicomane aussi ingérable qu’invétéré, Lester Butler devait connaître, à trente ans de distance, le même destin funeste que l’un des ses héros, Walter Jacobs. Après avoir floué sans remords ni répit ses musiciens (y compris sur le montant réel de leurs cachets) afin d’assouvir son vice, il tenta d’assembler un nouveau groupe, qu’il nomma 13. Avec à nouveau un unique album à la clé (en studio, celui-là). Entouré notamment du guitariste Alex Schultz (ex-Rod Piazza’s Mighty Flyers) et du batteur Stephen Hodges (futur Mannish Boys), ce surdoué caractériel y alternait compositions originales (les royalties pouvant ainsi continuer à abonder les dealers) et covers triées sur le volet (“So Mean To Me” d’Elmore James, “Boogie Disease” de Dr. Ross, “Baby Please Don’t Go” de Big Joe Williams, “Close To You” de Willie Dixon). Porté aux nues par la critique, et attendu comme le Messie par un public que la dissolution des Red Devils avait laissé sur sa faim, Butler rameuta Schultz et une section rythmique de circonstance pour deux tournées qui s’achevèrent chacune aux Pays-Bas. Au printemps 97, 13 se produisit ainsi en tête d’affiche du blues festival wallon de Tamines, près de Namur. Alternant son micro Astatic à l’harmonica comme au chant, Lester Butler y démontra quel showman il était demeuré (dans tous les sens du terme), tandis que Schultz, bien que son jeu en différât sensiblement, lui prodiguait l’indispensable contrepoint qu’assurait auparavant Paul Zize au sein des Devils. Les extended takes de “Down In New Orleans”, “Sweet Tooth”, “I Got A Girl”, “I’ll Cry For You” et “Left Overs” (de Jimmy McGriff, mais qu’adapta aussi Albert Collins), ainsi que celles du “Cut That Out” de Junior Wells et du “Last Night” de Little Walter (attribuée à tort à Lester par les zozos qui publient ce double CD) attestent de la complicité et de la cohésion du quartette. Si l’on peut lui préférer celle de l’album “King King”, la présente version d'”I Wish You Would” (portée par le jungle beat qu’y assure Eddie Clark) en préserve la sauvage dimension cathartique, tandis que celles d'”Automatic” arborent ici une tournerie Texas-shuffle de bon ton. Seul “Devil Woman” ne parvient pas vraiment à se hisser au niveau de fébrilité butée de sa version initiale. Les originaux signés Lester Butler (“In The Nightime”, “So Low Down”, “I’ll Cry For You”) confirment la vénération que lui inspiraient Chester Burnett et Muddy Waters. Le samedi 2 mai 98, Lester et 13 livrèrent, sans pouvoir s’en douter, leur ultime concert sur cette planète, en conclusion du Moulin Blues Festival d’Ospel (au sud de la Hollande). J’eus la chance d’y assister, et ce gig fut intense. Jamais de mémoire de festivalier on ne vit ainsi un batteur éclater sa peau de caisse claire dès le troisième morceau, tandis que, plus rare encore, le manche de basse de Mike Hightower se déboîtait à son tour quelques minutes plus tard. Ce furent les musiciens de James Harman (les ayant précédés sur les planches) qui pourvurent au remplacement du matériel déficient, et le show s’acheva en un pandémonium dont témoigne ici en bonus leur version fébrile d'”Automatic” (il est à noter qu’une captation vidéo de ce gig circule au format DVD). Butler et Schultz prirent le lendemain l’avion pour L.A. Lester gardait sur lui les 5.000 dollars en espèces correspondant au solde de ses cachets, et deux de ses amis dealers s’empressèrent de l’accueillir à son atterrissage… Une semaine plus tard, on trouva son cadavre encore tiède à l’arrière d’un van mal garé. À la réflexion, on devrait sans doute y songer à deux fois, avant d’affubler son groupe d’un sobriquet aussi poissard.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, May 25th 2020