Jazz |
Cinq ans après sa disparition (du Covid, à 92 ans), il est plus pertinent que jamais de saluer l’apport conséquent du saxophoniste alto Lee Konitz au jazz moderne. Ayant débuté professionnellement en 1945 (soit au cours de l’explosion be-bop, sous l’impulsion d’un certain Charlie Parker), celui-ci prit le contre-pied de la vogue du moment, en privilégiant un jeu et un son mesurés et sous contrôle, auquel maints puristes d’alors reprochèrent une certaine distance, empreinte selon eux de froideur (ce n’est pas pour rien qu’on le retrouva bientôt auprès de Miles Davis sur son mythique “Birth Of The Cool”, représenté ici par le vaporeux “Moon Dreams”). Ce qui revient à méconnaître le précepte auquel il se tint sa longue carrière durant: “Quand je commence un chorus et que je m’aperçois que j’ai déjà joué cela, je m’arrête tout de suite“. Doté d’une sonorité fluide, diaphane et aérée, Konitz se démarquait en effet de la plupart des altistes de sa génération, car chez lui, improvisation devait systématiquement rimer avec imprévisibilité (souriez si cela vous chante, mais les authentiques jazzeux savent de quoi il retourne). Disciple du rigoriste pianiste Lennie Tristano, on trouve les prémisses de son art sur le “Intuition” qu’il enregistra avec ce dernier dès 1949. Les musiciens y improvisent ensemble, sans avoir apparemment rien préparé. Ce titre ne comportant ainsi ni harmonie, ni mélodie pré-existante, sa forme irrégulière s’élabore à mesure de la direction que prennent les musiciens. Mais dès “Subconscious-Lee”, “Wow” et “Digression” (captés plus tôt la même année avec Tristano et le guitariste Billy Bauer, en quintette puis sextette), les envolées de Lee préfiguraient déjà son style, dont la fluide volubilité semble toujours sur le point de s’échapper des cadres établis. Aussi mouvant qu’émouvant, Konitz multiplia bientôt les expériences et les collaborations (de Tristano, Gil Evans et Gerry Mulligan jusqu’à Jimmy Giuffre, Miles et Stan Kenton), et cette sélection chronologique de 34 titres (sous la direction de l’érudit Alain Gerber) le laisse aux portes d’une nouvelle étape déterminante, avec un extrait de son mythique album “Motion” (en trio avec Elvin Jones et Sonny Dallas). Non moins véloce et virtuose qu’un Charlie Parker, Lee Konitz n’en préservait pas moins une élégance que l’on prit souvent (à tort) pour de la retenue, alors qu’elle ne reflétait qu’une exigence érigée en valeur cardinale. On assiste ici à la genèse foisonnante d’un géant modeste, mais déjà sûr de son destin. Avec une centaine d’albums en leader à son actif en trois-quarts de siècle (et davantage encore en compagnonnage), Konitz appartenait d’évidence à la catégorie des one of a kind.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, May 18th 2025
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Artistic Direction: Alain Gerber, assisté de Jean-Paul Ricard et Jean Buzelin