LAZY LESTER & LES TORTILLEURS – Yes Indeed !

Tempo / Socadisc
Blues
Lazy Lester

Ah, Lazy Lester! Les exégètes se déchirèrent un demi-siècle durant à propos de ce prétendu cossard. Pour les uns, c’était le parangon du dilettantisme, trop feignant pour faire fructifier le talent brut dont la nature l’avait doté. Pour les autres, c’est l’archétype du swamp-blues, ce style vernaculaire et nonchalant, immortalisé sous l’égide du producteur J.D. Miller dans les environs de Bâton Rouge. Il suffit pourtant de tendre l’oreille à ses parties d’harmonica sur les enregistrements de ses compagnons de label, Slim Harpo et Lightnin’ Slim, pour savoir dans laquelle de ces catégories le ranger. Lester Johnson (pour l’état civil) ne limitait pas ses capacités à ce seul instrument, officiant par ailleurs en tant que factotum sur les sessions de nombre d’artistes maison, que ce fut à la guitare, à la basse ou aux percussions diverses. Le peu de crédit (et de royalties) qu’il parvint à en tirer le mena à un hiatus d’une vingtaine d’années, durant lesquelles (retiré à Pontiac dans le Michigan, avec la propre sœur du regretté Slim Harpo), il exerça divers métiers manuels tout en se consacrant à son hobby favori, la pêche. Celui qui avait procuré aux Kinks un hit dans les sixties (“I’m A Lover Not A Fighter”), et un autre plus tard aux Fabulous Thunderbirds (“Sugar Coated Love”), fut finalement ramené au music business par la conjuration de certains de ses fans, au nombre desquels on comptait rien moins que Kenny Neal, Lucky Peterson, Kim Wilson et Jimmie Vaughan. C’est en 2003 que son principal ambassadeur dans notre Hexagone le proposa au festival Musiques de la Nouvelle-Orléans en Périgord. Benoît Billot (dit Blue Boy) pratique en effet depuis quelques décennies une forme similaire de blues de facture louisianaise. C’est ainsi qu’il en vint à l’y accompagner avec ses Tortilleurs (l’une des plus crédibles formations françaises dans ce registre), sous les ombrages du parc Gamenson de Périgueux. La complicité musicale entre Lester et ces derniers s’y révéla aussi naturelle qu’instantanée. Laissant l’harmonica aux bons soins d’un Benoît impérial, Lester se consacra à la guitare rythmique et au chant, le grand Stan Noubard Pacha se contentant de sobres enjolivements sur le reste des six cordes. À la salle des machines, les jeunes Thibaut Chopin et Fabrice Millerioux maintenaient la chaudière à température ambiante, tandis que le multi-instrumentiste gallois Geraint Watkins nappait parcimonieusement l’ensemble d’un juteux Hammond B3 de circonstance. L’ambiance est à la fin de dimanche après-midi ensoleillé: à la coule, cet équipage déroule le swamp blues dans ce qu’il préserve d’éternité, qu’il s’agisse de compos putatives de l’ex-patron de Lazy Lester, Jay Miller (au nombre de trois), de standards de Jimmy Reed (même score), du “Ya Ya” de Lee Dorsey, ou encore du final sur le “I’m A Man” de Willie Dixon. On croirait presque entendre le coassement du crapaud-buffle se mêler en arrière-plan au chant des grillons. À noter (outre la masterisation impeccable de cet enregistrement impromptu), l’instrumental roboratif signé Benoît dont les Tortilleurs gratifièrent leur auditoire, ainsi que la cover inattendue du standard de Hank Williams, “Your Cheatin’ Heart”, démontrant que l’art de Lazy Lester ne connaissait pas d’œillères. Il est décédé d’un cancer quinze ans plus tard, dans un bled californien pour retraités de la classe moyenne du nom de Paradise, sans avoir pu connaître son premier album français. Respect et pastis bleu ne sont donc pas incompatibles.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, March 1st 2020

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On n’est pas obligé de déguster cette musique un verre de Bayou Rhum blanc à la main mais il est certain que cela doit être encore mieux avec! Un témoignage exceptionnel de ce qu’est le Swamp Blues, courant du Blues Louisianais de la région de Bâton rouge né dans les années cinquante, presque en même temps que débutait la carrière du chanteur guitariste harmoniciste Lazy Lester (1933 – 2018). On pense naturellement à Tony Joe White, lorsqu’il s’agit, aujourd’hui, d’évoquer cette musique-là… Toujours est-il que c’est là, dans le cadre du MNOP ((Musique Nouvelle Orléans Périgueux) que Lazy Lester en compagnie de Benoit Blue Boy et ses Tortilleurs donnèrent un concert du feu de dieu en août 2003! Aujourd’hui on vous offre 11 titres interprétés de mains de maître par Benoit Blue Boy à l’harmonica, Stan Noubard Pacha à la guitare, Thibaut Chopin à la basse, Fabrice Millerioux à la batterie et Geraint Watkins à l’orgue Hammond B3. Un certain nombre de compositeurs célèbres sont ainsi revisités: Jerry West, Jimmy Reed, Bobby Robinson – Lee Dorsey, Jay Miller, Jay Miller – Bernard Jolivet, Hank Williams, Benoit Billot aka Benoit Blue Boy, ou encore Willie Dixon. Rien que des morceaux épicés comme une soupe de tortue bien brûlante!! A savourer sans modération! Cet album est un hommage rendu à un grand bluesman américain qui enregistra entre 1956 et 2012 aussi bien chez Blue Horizon que chez Alligator Records, Antone’s Records que Ruf Records, par un autre bluesman fameux français qui enregistra, lui aussi 15 albums entre 1979 et 2017.

Dominique Boulay
PARIS-MOVE & Blues Magazine (Fr)

PARIS-MOVE, March 29th 2020