LAKECIA BENJAMIN – Phoenix

Whirlwind Recordings
Jazz
LAKECIA BENJAMIN - Phoenix

Que de chemin parcouru pour la saxophoniste alto Lakecia Benjamin, depuis son tout premier album en 2012. Native de New-York et élevée à Washington Heights (dans le Manhattan District), cette émule de Gary Bartz y débuta en tant que performeuse dans le fertile circuit des clubs latinos locaux, avant d’accompagner des pointures telles que Clark Terry, Alicia Keys, Anita Baker, Macy Gray, Vincent Herring, Stevie Wonder et Gregory Porter. Après son récent hommage à la dynastie Coltrane (Pursuance, sur Ropeadope en 2020), elle livre à son nouveau label un album de résilience, au fil duquel elle convoque quelques significatives figures tutélaires. À commencer par l’activiste Angela Davis, dont le spoken word se superpose aux sirènes de police sur l’ample “Amerikkan Skin” d’ouverture et de conclusion (dont la facture ranime le flambeau de la trilogie coltranienne initiée avec Giant Steps). C’est à la tête de son fidèle quartet (Victor Gould, aux claviers, Ivan Taylor à la contrebasse et le magicien E.F. Strickland aux drums) qu’elle poursuit sa quête d’un spiritual jazz réjuvené. Ne lésinant pas sur la guest-list, elle accueille ici les trompettistes Josh Evans et Wallace Roney Jr, ainsi que les claviéristes Anastassiva Petrova, Patrice Rushen, Georgia Anne Muldrow et Orange Rodriguez, ainsi qu’un trio de cordes de chambre. Que les cuivres déploient les thêmes à l’unisson comme sur le funky “New Mornings” ou l’incantatoire plage titulaire (s’ouvrant sur des chants Native Americans), que Lakecia revendique son rang de side-woman de luxe (sur le splendide “Mercy”, où elle backe la divine vocaliste Dianne Reeves), ou qu’elle retrouve furtivement le chemin des dance-floors afro-cubains sur le bien intitulé “Jubilation” (avec le piano endiablé de Patrice Rushen), elle ne perd jamais le contact avec les hanches de l’auditeur. Il n’en demeure pas moins impossible de danser idiot, tant le message de précurseurs tels que les Last Poets y demeure vivace (“Peace Is A Haiku Song”/ “Blast”, avec le spoken word de Sonia Sanchez, ou encore celui que déclame Wayne Shorter en personne sur “Supernova”, en préambule à la suite “Basquiat”, évidemment dédiée à ce regretté génie néo-expressionniste). L’héritage de ses maîtres demeure bien présent: comment ne pas reconnaître sur “Moods”, “Rebirth” et bien entendu “Trane”, au fil de son dialogue fertile avec le piano de Gould et la trompette d’Evans, l’écho de ceux qu’entretenait Coltrane avec Miles et Bill Evans? De bout en bout, cet enregistrement témoigne de l’impressionnante puissance émotionnelle d’un talent majeur dans le paysage actuel du jazz moderne. Et si la teneur proto-woke du propos énoncé par le speech d’Angela Davis sur “Amerikkan Skin” pourra hérisser le plus zemmouriste de nos chroniqueurs, ce disque ne prétend pas pour autant tenir lieu de manifeste, si ce n’est celui de la résilience, de la liberté et d’un certain héritage. Avec des artistes de la trempe de Lakecia Benjamin, le jazz n’est pas prêt de se laisser encager.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, January 15th 2023

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