KUTU – Guramayle

Brouhaha / Full Rhizome / Bigwax
World Rock
KUTU - Guramayle

Comment explique-t-on que tant de jeunes prodiges finissent par se transformer en enfants terribles? Je veux dire, quand Mozart et Rimbaud étaient petits, étaient-ils déjà aussi imprévisibles, capricieux et impertinents qu’en grandissant? Toutes proportions gardées, quand, ses 18 ans à peine sonnés, le jeune Théo Ceccaldi décroche le premier prix de violon, d’écriture et de musique de chambre, et que sept ans plus tard (avec son frère Valentin, violoncelliste), il remporte le Tremplin Orléans Jazz en dressant des ponts entre la musique de chambre traditionnelle et l’improvisation, il fait l’unanimité. Ce consensus lui vaut ensuite, à deux reprises, la consécration du respectable Jazz Magazine (“Révélation française” en 2014, puis “Musicien de l’année” en 2016), suivie des “Victoires du Jazz” en 2017 dans la catégorie “Révélation instrumentale de l’année”, puis du “Coup de Cœur Jazz & Blues” de la prestigieuse Académie Charles Cros en 2019. Après avoir contribué à pas moins d’une trentaine d’albums en dix ans, et tandis qu’il aurait pu sereinement ambitionner de devenir le nouveau Didier Lockwood (à la place, désormais vacante, de l’intéressé), paf, l’accident industriel ! Ou plutôt le pas de côté, la dissidence, le coup de tête façon Zidane. Mandaté par le festival francilien Africolor pour prospecter la très active et foisonnante scène d’Addis-Abeba (capitale de l’Éthiopie) en vue de sa programmation, notre Tintin reporter y tombe raide dingo du Jano Band, formation qui y enflamme les nuits underground. Il en invite les deux chanteuses à jammer avec lui dans les locaux de l’Alliance Française, et c’est le coup de foudre, l’osmose: tout ce que ces artistes condensent d’héritages stratifiés se télescope, comme en écho avec le bagage œcuménique du visage pâle à la pilosité en bataille! Leur première livraison collective s’appuie sur de solides fondations: la basse de Valentin Ceccaldi, les claviers électro de Akemi Fujimori-Poivre, ainsi que le drumming irrépressible et protéiforme de Cyril Atef (moitié de Bumcello) servent au quart de tour les compos et arrangements de Théo l’iconoclaste, animées d’une transe frénétique qu’électrisent les voix tour à tour mêlées et dissociées de Hewan Gebrewold et Haleluya Tekletsadik. Pour apprécier pareil ovni, il ne suffit pas d’abandonner ses préjugés, il faut aussi abjurer ses certitudes. Dès l’ “Ambassel” d’ouverture, on croit entendre Patti Smith sous Guronsan, rappant sur du Nine Inch Nails produit par Jah Wobble et Holger Czukay. Une pulsation terriblement organique (les toms de cet anaconda d’Atef) s’empare de votre dispositif rachidien, et pourtant, de “Baamet Beal” à “Wey Nedo, “Kemeshem Wedi” et “Yambara”, rien de tout ceci ne vous semble totalement inconnu. C’est que Théo n’a rien oublié de son imprégnation assidue des compilations “Éthiopiques” de Francis Falceto, que diffusèrent Union Square et Pias voici une quinzaine d’années. Reprenant le fil de cette histoire là où l’on aurait pu craindre que la dictature militaire l’aurait éradiqué, un disque qui vous laissera pantelant(e), mais béat(e).

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, September 16th 2022

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KUTU – Guramayle : un album à commander sur leur Bandcamp, ICI
Dispo en CD / Vinyle et Digital

Kutu interprète “Dantada” dans Musiques du Monde:

https://www.youtube.com/watch?v=VEhdIqbE_Do