KIRK FLETCHER – Keep On Pushing

Vizztone
Blues
KIRK FLETCHER - Keep On Pushing

S’il est un bluesman contemporain dont nous surveillons le parcours comme le lait sur le feu, c’est bien Kirk Fletcher. Et ce, davantage même, depuis la disparition de Joe Louis Walker. Sur combien d’autres Afro-Américains (hormis la relève tant attendue des Selwyn Birchwood, DK Harrell et autres Christof ‘Kingfish’ Ingram) peut-on en effet compter pour porter haut la torche du blues en ce troisième millénaire? À part Lurrie Bell et Otis Taylor (celui-ci dans un registre certes plus éclectique et revendicatif), on ne s’y bouscule en effet guère au portillon… Dès le départ, Kirk cochait en effet toutes les cases: fils cadet d’un pasteur baptiste de Bellflower, en Californie (État honni par ce dangereux crétin de Trump), il débuta la guitare dès son huitième anniversaire, avant de rencontrer adolescent l’essentiel Al Blake (clavier originel du Hollywood Fats Band), qui le mit en relation avec rien de moins que Junior Watson et Richard Duran (alias Lynwood Slim). On ne peut rêver meilleur patronage, et le gamin (né en 1975) enregistra à 24 ans son premier album (“I’m Here And I’m Gone”) chez JSP, avant que ce bon Al ne le présente à Kim Wilson. Au bout de quatre ans auprès de ce dernier sous l’égide des Fabulous Thunderbirds, Kirk migra chez un autre mogul de l’harmonica, Charlie Musselwhite, avant de poursuivre une carrière solo qui ne dénombre certes que huit albums en un quart de siècle (celui-ci inclus), mais n’en témoigne pas moins d’une haute imprégnation des canons d’un blues urbain fermement ancré dans ses racines swamp, gospel et soul. Récemment victime d’une attaque non spécifiée (mais dont on subodore qu’elle ne devait être ni nucléaire, ni informatique), Kirk se réapproprie le slogan de Curtis Mayfield & The Impressions pour clamer sa résilience, en un siècle débutant avec tout ce qu’il faut pour terrifier. Co-produit par JD Simo (des regrettés Simo Brothers, récemment repéré aux côtés d’Alaistair Greene), ce disque s’ouvre sur le “It’s Love Baby” de Ted Jarrett, que reprirent en leur temps des divas texanes telles que Lou Ann Barton et Angela Strehli, dans une veine guitaristique que n’auraient reniée ni le grand Jimmy Vaughan, ni son modèle Guitar Slim. Kirk persiste dans ce sound avec le “Just A Dream” de Big Bill Broonzy, traîté dans l’esprit swamp de Lightnin’ Slim.  C’est sur le même ton qu’il reprend aussi “I’m Gonna Dig Myself A Hole” d’Arthur ‘Big Boy’ Crudup, selon un pattern emprunté à “Big Boss Man”. Signé Edward Bocage, le swamp-twist “Every Dog Has His Day” regorge à nouveau de ces fulgurantes guitar-licks comme les impétueux Otis Rush et Magic Sam en dispensaient au tout début des sixties, pour inséminer ensuite le jeu d’émules tels que Peter Green. Parlant de ce dernier, tiens, l’adaptation du “Lost Love” de Percy Mayfield renvoie aux tout débuts de Fleetwood Mac, au temps où ces blancs-becs se mesuraient à la crème de Chicago dans leur fameux “Blues Jam At Chess”: feeling garanti à fond la moquette, et leçon magistrale d’electric blues guitar en prime! L’occasion de signaler au passage le rôle fondamental d’une section rythmique (JD Simo à la rhythm guitar, Ron Eoff à la basse et Jason Smay aux baguettes) fermement cramponnée à ses fondamentaux. Première composition de Kirk au tableau, le jump-swing instrumental “Croke” rappelle à bon escient ce qu’il a retenu de mentors tels que Junior Watson et Hollywood Fats, avant que le shuffle titulaire ne revienne arpenter les brisées d’un Jimmie Vaughan désormais semi-retraité. Inutile de préciser que tout impétrant blues guitar player devrait impérativement étudier ce genre de pièces avant d’oser se présenter sur les planches. “Think Twice Before You Speak” d’A.K. Smith est un low down slow blues rampant exécuté au trèfonds du temps, où les six cordes du patron en remontrent placidement aux trois quarts des shredders qui sévissent de nos jours : tempo, pondération, sens du crescendo et lyrisme s’y hissent en effet en parangons, et on peine à y trouver d’équivalent de nos jours (hormis chez des vétérans tels que Tinsley Ellis et Ronnie Earl, ou de relatifs jeunots comme Nick Moss et Mike Welch). C’est à nouveau vers l’Otis Rush période Cobra/Chess qu’incline la version du “Here In The Dark” de Bernard Anders, pour conclure sur un “Blues For Robert Nighthwak” instrumental où la slide de JD Simo se taille la part du lion. Cet album se referme ainsi au cœur du deep Chicago où se situent ses origines les plus profondes. Déjà à la tête d’une discographie immaculée, Kirk Fletcher pourrait bien avoir signé là son grand œuvre. Captivant et bouleversifiant de bout en bout, ratez ça, et mourez idiot!

PS: “indispensable” trois fois!

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co

PARIS-MOVE, August 9th 2025

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