Kate Wyatt Trio – Murmurations (FR review)

Self Released - Street date : Available
Jazz
Kate Wyatt Trio – Murmurations

Par un matin d’automne gris à Montréal, de ceux qui semblent ralentir la cadence de la ville, la pianiste Kate Wyatt est assise à son instrument avec une concentration telle que le temps paraît suspendu. Ses mains planent un instant au-dessus du clavier, dans l’attente, à l’écoute. Autour d’elle, les membres de son trio échangent des regards presque imperceptibles, comme s’ils partageaient un accord silencieux. Puis, sans décompte ni signal, la musique commence, non pas par un éclat dramatique mais par quelque chose de plus subtil: une pulsation, un souffle, un murmure.

C’est là l’essence même de Murmurations, le nouvel album de Wyatt, dont le titre fait référence au spectacle envoûtant des étourneaux traçant dans le ciel des figures mouvantes. La métaphore est juste. Tout comme ces milliers d’oiseaux qui forment des motifs à la fois chaotiques et cohérents, le trio de Wyatt trouve l’ordre dans le risque, la beauté dans l’incertitude. Chaque morceau se déploie moins comme un script écrit à l’avance que comme un organisme qui réagit à lui-même en temps réel.

Dès la première piste, une réinterprétation audacieuse de Mack the Knife de Kurt Weill, l’auditeur est plongé dans un univers sonore à la fois intellectuel et viscéral. Ce choix ramène immédiatement dans l’ombre du théâtre de Bertolt Brecht, satirique, politique, poétique, et le trio joue de cette association, laissant coexister l’ironie et le lyrisme. Le reste de l’album repose largement sur les compositions de Wyatt, avec seulement quelques contributions d’Adrian Velady et de Louis-Vincent Hamel. Mais la voix dominante demeure sans équivoque la sienne: précise sans jamais être rigide, exploratrice sans perdre de vue la mélodie, profondément enracinée à la fois dans le jazz et dans la clarté formelle de la musique classique du XXe siècle.

De tels albums réclament davantage qu’une écoute distraite. Ils exigent l’immersion. L’écriture de Wyatt récompense la patience: les thèmes apparaissent lentement, les rythmes se déplacent comme des plaques tectoniques, et les silences portent autant de poids que les cascades de notes. En ce sens, Murmurations s’apparente à un dialogue, non seulement entre musiciens, mais aussi entre l’artiste et son auditoire, demandant du courage aux deux parties. Pour Wyatt, le courage consiste à livrer autant d’elle-même à travers des œuvres originales; pour l’auditeur, il consiste à accepter de se laisser porter par une musique qui privilégie la profondeur à l’immédiateté.

Les critiques n’ont pas tardé à reconnaître l’ambition de Wyatt. Elle a été comparée à un cercle restreint de pianistes de jazz de haut niveau, Brad Mehldau, Yaron Herman, Shai Maestro, Fred Hersch, et saluée comme «l’une des meilleures artistes de Montréal, du Québec, voire du jazz canadien» (Cardin/Brunet, Pan M360). Son premier album, Artifact, paru en 2022, avait déjà annoncé son arrivée comme pianiste d’une rare sensibilité, à la tête d’un quartet doté d’une alchimie singulière, une interaction fluide produisant une intensité sans lourdeur, une intimité sans fragilité. Comme l’a écrit le critique Richard Kamins dans Step Tempest: «Artifact est rempli de mélodie, d’esprit et d’une joie de jouer ensemble qui apporte de l’espoir à l’auditeur. Cet album est un joyau. Hautement recommandé!»

La carrière de Wyatt s’est construite dans la collaboration, auprès de figures comme Kenny Wheeler, Jay Clayton, Ira Coleman, Yannick Rieu, Christine Jensen, Itamar Borochov, Ranee Lee, Don Thompson, Barry Elmes, Mike Murley et l’Orchestre national de jazz de Montréal. Au fil de ces rencontres, elle a forgé une éthique fondée sur l’improvisation et l’innovation, sur la sensibilité et l’interaction. On l’entend dans la manière dont son trio écoute, les uns les autres, le silence, les possibles.

Mais ce qui rend Murmurations le plus marquant n’est peut-être pas sa virtuosité, pourtant bien présente, mais son sentiment d’inéluctabilité. Chaque pièce semble ne pouvoir être écrite ou jouée autrement. Les structures sont complexes, parfois cérébrales, mais l’effet reste naturel, comme si la musique devait nécessairement exister. À une époque où les enregistrements de jazz s’apparentent souvent à des vitrines de brillance individuelle, l’album de Wyatt affirme l’importance du collectif, de l’organique, du souffle partagé.

Pour ceux qui recherchent une musique qui stimule l’intellect tout en nourrissant l’esprit, Murmurations offre un cadeau rare. Ce n’est pas une musique d’arrière-plan; c’est une invitation. À s’y plonger, à y réfléchir, à la ressentir. À reconnaître que dans l’acte même d’une écoute attentive, on devient soi-même partie du murmure.

Avec cet album, Kate Wyatt affirme non seulement sa place parmi les voix les plus captivantes du jazz canadien, mais aussi comme une artiste dont l’œuvre résonne bien au-delà des frontières géographiques ou stylistiques. Murmurations prouve que le jazz, dans ses plus belles expressions, conserve ce pouvoir : penser profondément, vibrer collectivement, et rappeler que la musique, comme les étourneaux dans le ciel, dépasse toujours la somme de ses parties.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, September 25th 2025

Follow PARIS-MOVE on X

::::::::::::::::::::::::

To buy this album

Website

 

Musicians :
Kate Wyatt – Piano
Adrian Vedady – Bass
Louis-Vincent Hamel – Drums

Track Listing :
Mack The Knife
Murmurations
Sunrise
Coruscation
Finding
Patience
Going To The Sun
Bardo
Succession
Embers
Music Is Beautiful