| Jazz |
Dans l’univers du chant jazz, les premiers albums ne sont que rarement des déclarations artistiques définitives. Ils se présentent plutôt comme des premiers pas: l’occasion d’introduire une voix, de tester son terrain d’expression et de suggérer la direction que pourrait prendre le parcours. Le premier enregistrement d’Ellis s’inscrit parfaitement dans cette catégorie. L’album bénéficie d’une très belle production, mettant en valeur à la fois la clarté de sa voix et la solidité de l’ensemble qui l’accompagne. Sur le plan technique, rien n’est laissé au hasard: justesse, diction et phrasé sont impeccablement maîtrisés, offrant une présentation à la fois professionnelle et assurée.
Et pourtant, malgré ce raffinement, le projet paraît parfois trop prudent. Le répertoire repose largement sur des standards familiers, interprétés avec respect, mais rarement réinventés. Les lectures sont gracieuses, mais elles surprennent peu; on y perçoit un attachement sincère au matériau, même si, à certains moments, cet attachement semble limiter l’expression de la personnalité. Les auditeurs qui attendent du jazz une part de réinvention pourraient souhaiter davantage de prise de risque, davantage de moments d’éclat.
Le contexte, cependant, enrichit cette écoute. Ellis n’est pas une chanteuse de carrière formée sur scène, mais une professeure de sciences à Boulder, qui a longtemps cultivé la musique en marge de sa vie professionnelle. Ce premier disque est donc bien plus qu’un simple album: il constitue la concrétisation d’un appel intérieur. À ce titre, il dégage une sincérité qui compense en partie le manque d’audace. Et le choix de ses partenaires est révélateur: le pianiste Eric Gunnison, le trompettiste et producteur Brad Goode, le bassiste Mark Simon et le batteur Harold Summey forment un ensemble chevronné du Colorado dont la cohésion et la sensibilité élèvent constamment la musique. Leur jeu agit à la fois comme un filet de sécurité et comme un tremplin, donnant à Ellis la liberté d’explorer, même si cette liberté n’est pas toujours pleinement exploitée.
Pour certains auditeurs, en particulier ceux qui apprécient des versions fidèles du répertoire classique, l’album offrira exactement ce qu’ils recherchent: une sélection de chansons traitées avec soin et précision, sans fioritures superflues. Pour d’autres, il apparaîtra davantage comme un prélude qu’une destination, un chapitre d’ouverture élégant plutôt qu’une affirmation artistique aboutie. Ce qui demeure le plus prometteur, c’est la perspective qu’il ouvre: sur ces bases solides, Ellis dispose désormais des outils et des collaborateurs nécessaires pour aller plus loin. Si elle s’appuie moins sur la technique et davantage sur l’interprétation, moins sur la révérence et davantage sur le risque, son prochain enregistrement pourrait transformer cette maîtrise en une expression plus profonde, plus personnelle, et indéniablement singulière.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, September 4th 2025
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Musicians :
Kate Ellis, vocals
Brad Goode, trumpet
Eric Gunisson, piano
Harrold Summey, drums
Mark Simon, bass
Track Listing :
Trust in Me
Talking to Myself
Never Let Me Go
So Many Stars
Annie’s Song
You Don’t Own Me
Moon River
Killing Me Softly
Everybody’s Talkin’
Take a Giant Step
Alfie
Throw It Away