Jung Stratmann Quartet – Confluence (FR review)

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Jazz
Jung Stratmann Quartet – Confluence

À Travers la Ligne Bleue: Le Quartet Transculturel de Sujae Jung et Wolf Robert Stratmann

S’il existe un trait commun qui relie les musiciens de jazz coréens et européens, c’est sans doute leur formation classique, cette discipline qui façonne si profondément leur parcours artistique. De cette rigueur naissent deux voies possibles: celle de l’exploration expérimentale ou celle d’un lyrisme maîtrisé, centré sur la mélodie. Le pianiste Sujae Jung et le contrebassiste Wolf Robert Stratmann ont, eux, clairement choisi cette seconde voie, celle où l’équilibre, la structure et l’intimité deviennent un art en soi.

Leur quartet, complété par des musiciens qui écoutent autant qu’ils jouent, fait de la sobriété une philosophie plutôt qu’une limite. À son cœur, le groupe se nourrit du contraste: entre le raffinement du sens musical coréen de Jung et la précision terrienne de Stratmann, ancrée dans la tradition allemande. Le dialogue entre leurs deux cultures ne gomme pas leurs différences, il les magnifie. De cette rencontre naît un langage commun, à la fois soigneusement pesé et étrangement spontané. Chaque note semble choisie avec soin; chaque silence, chargé d’intention. Chez eux, on perçoit une forme de télépathie, une conversation muette où deux mondes ne se contentent pas de se croiser, mais s’élargissent mutuellement.

Leur nouvel album, Confluence, se déploie en cinq compositions originales, chacune comme une étude sur l’équilibre collectif et la profondeur émotionnelle. Le disque s’ouvre sur une version en quartet audacieuse de “Tree Huggers”, une pièce de Jung déjà parue sur leur récent EP en duo. «J’ai été tellement émue en réécoutant notre enregistrement», confie Stratmann. «J’ai été profondément touchée par la façon dont nos personnalités s’expriment avec tant de force, et s’entrelacent avec une telle grâce.» Cet entrelacement, tension élégante entre intériorité et envol, donne le ton de tout l’album.

“Summer Whale”, en 5/4, plonge dans des eaux plus sombres. À l’origine, il ne s’agissait que d’une simple vamp destinée à explorer le jeu ouvert en croches et à évoquer l’image d’une baleine glissant sous les vagues réchauffées par le soleil. Mais au fil du temps, la pièce s’est transformée en une méditation sur le mouvement et la mémoire. Plus tard, la chanteuse islandaise Björg Blöndal y a ajouté des paroles (non incluses sur cet enregistrement) racontant la migration d’une baleine bleue des eaux froides vers les eaux plus chaudes de l’Atlantique, transformant la pièce en métaphore du passage et de la métamorphose.

L’eau irrigue tout Confluence, non seulement comme image, mais comme principe organisateur. Elle évoque autant l’immensité qui sépare la Corée de l’Allemagne que le courant invisible qui désormais les unit. La musique vit de cette tension: une distorsion paradoxale où les sons familiers deviennent étranges, où la dissonance prend la forme d’une beauté nouvelle. Les musiciens échangent des appels et des réponses, des regards et des gestes, jusqu’à ce que leurs perspectives individuelles se fondent en une identité sensorielle, une quête d’universalité à travers la singularité du son partagé.

C’est cet esprit qui anime “The Pull”, une composition qui entraîne l’auditeur des ténèbres vers la lumière. Stratmann y rend un hommage discret à ses débuts à la basse électrique, et à la puissance d’attraction de la scène new-yorkaise, qui continue de nourrir son jeu.

À mesure que le disque avance vers sa conclusion, “After Sunset”, le quartet semble atteindre sa plénitude. Ici, la musique respire dans une confiance totale. Plus besoin de se regarder ni de s’écouter: il suffit d’être, simplement, de coexister, de converser, de créer. Ce dernier titre sonne comme un accomplissement, non seulement pour le groupe, mais pour l’idée même de collaboration entre cultures.

Peu d’ensembles parviennent à une telle synthèse. On pense à Joe Zawinul et à son Syndicate, qui succéda au légendaire Weather Report: un groupe admiré pour sa diversité, mais qui ne retrouva jamais la reconnaissance qu’il méritait. Peut-être que l’ombre de Zawinul restait trop imposante, ou que les propositions de son nouveau groupe étaient trop novatrices pour être comprises. Jung et Stratmann, eux, n’ont pas ce poids du passé. Ils construisent patiemment leur son, le laissant trouver sa propre forme.

En ce sens, Confluence porte bien son nom. Ce n’est pas un aboutissement, mais un processus en mouvement, un lieu de rencontre où la géographie se dissout et où ne subsistent que le son, l’échange, la pureté du geste. Pour Jung et Stratmann, la musique ne consiste pas à combler les différences, mais à les habiter, à laisser leurs courants se mêler jusqu’à ce que la frontière entre origine et destination devienne floue, et magnifiquement, volontairement, indéterminée.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, November 12th 2025

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To buy this album

Sujae Jung’s website

Wolf Robert Stratmann’s website

Musicians :
Sujae Jung, piano
Wolf Robert Stratmann, bass
Steve Cardenas – guitar
Marko Djordjevic – drums

Track Listing :
Tree Huggers (avec Steve Cardenas et Marko Djordjevic)
Summer Whale (avec Steve Cardenas et Marko Djordjevic)
This Wine Tastes Very Dry (avec Steve Cardenas et Marko Djordjevic)
The Pull (avec Steve Cardenas et Marko Djordjevic)
After Sunset (avec Marko Djordjevic)