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Pour comprendre Julius Gawlik, il faut d’abord parler du compositeur avant de parler de l’instrumentiste. Bien qu’encore au début de sa carrière, Gawlik s’est déjà imposé comme une figure à part dans le paysage du jazz et de la musique improvisée européenne. Connu autrefois comme le plus jeune membre de l’histoire du prestigieux NDR Bigband, il s’affirme aujourd’hui comme un penseur musical accompli. Son premier album, It’s All in Your Head, témoigne d’une étonnante maturité, alliant structure et spontanéité avec une assurance rare.
Dès les premières mesures, il est évident que la musique de Gawlik échappe à toute classification. Ses compositions habitent un territoire où se rencontrent mélodies tranchantes, contrepoints complexes et improvisations ouvertes. Plutôt que de s’appuyer sur des idiomes établis, il construit des environnements sonores où intensité et lyrisme coexistent, un équilibre esthétique qui évoque, dans l’esprit sinon dans la forme, les œuvres de Maria Schneider ou Jim McNeely. Pourtant, l’approche de Gawlik reste singulière: cérébrale, exploratrice, et solidement ancrée dans un sens aigu de la forme.
Cet album, à la fois manifeste et expérimentation, révèle un compositeur désireux de dialoguer avec la complexité du jazz moderne tout en se gardant de ses clichés. La musique exige une écoute attentive, non parce qu’elle cherche la difficulté, mais parce qu’elle évolue sur cette frontière poreuse où composition et improvisation s’interpénètrent. En cela, Gawlik s’inscrit dans une lignée d’artistes européens, tels Django Bates, Vince Mendoza ou Anna Webber, qui considèrent le jazz non comme un genre figé, mais comme un processus ouvert, un langage en perpétuelle mutation.
Le parcours du musicien témoigne d’une formation rigoureuse. Lauréat de la bourse d’excellence pour soliste de la Temple University et du prix de soliste de la Karl Hofer Gesellschaft à Berlin, il s’est produit dans des festivals majeurs, North Sea, London, Copenhagen Jazz Festivals, ainsi que dans des salles emblématiques comme l’Elbphilharmonie de Hambourg ou le Bimhuis d’Amsterdam. Ces expériences nourrissent aujourd’hui une écriture d’une précision quasi chambriste, servie par la liberté d’une improvisation collective.
Dans ses propres mots, Gawlik décrit ses compositions comme des «esquisses», de courts fragments mélodiques et rythmiques conçus pour susciter l’improvisation plutôt que pour la contraindre. Cette méthode engendre des pièces à la fois maîtrisées et imprévisibles. On y perçoit un goût marqué pour le contraste: des textures harmoniques discrètes face à des solos nerveux, des mélodies aériennes suspendues sur des lignes rythmiques ancrées, des couches abstraites qui se dévoilent peu à peu. Il en résulte une musique dynamique, élastique et profondément personnelle, un art du mouvement, refusant tout conformisme sonore ou émotionnel.
L’un des traits les plus remarquables d’It’s All in Your Head réside dans sa retenue. Même dans ses moments de plus grande intensité, l’album conserve une clarté exemplaire. Le jeu de saxophone de Gawlik, raffiné, précis, émotionnellement mesuré, sert de fil conducteur plus que de démonstration de virtuosité. Sur des titres comme Fuchs, l’ensemble atteint un élan post-bop fluide, où rythme et harmonie s’imbriquent avec une spontanéité aussi libre que maîtrisée. Ailleurs, les morceaux plus lents explorent la couleur et le silence comme des matériaux de composition, rappelant le lyrisme spectral du jazz européen contemporain.
Mais malgré sa rigueur formelle, cet album ne relève pas d’un exercice intellectuel. Il y a, dans l’écriture de Gawlik, une chaleur et une humanité palpables, une sensibilité mélodique qui affleure même dans les passages les plus abstraits. Sa musique sait émouvoir sans tomber dans le sentimentalisme, réfléchir sans se distancer. Cette capacité à préserver la beauté au cœur de la complexité est peut-être ce qui définit le mieux son identité artistique.
Deux expériences ont d’ailleurs profondément marqué sa trajectoire. Sa formation aux États-Unis lui a ouvert une vision plus libre et hybride de la composition jazz, fondée sur le risque et la singularité. Son passage au sein du WDR Big Band, laboratoire légendaire de l’innovation orchestrale, admiré notamment par Bob Mintzer qui y collabore régulièrement, lui a offert une compréhension intime des rapports entre écriture et improvisation. It’s All in Your Head apparaît ainsi comme le point de rencontre de ces deux univers: l’oreille analytique européenne et l’esprit exploratoire américain.
Au fond, le premier album de Julius Gawlik n’est pas tant une collection de morceaux qu’une étude sur l’architecture du son. Il invite l’auditeur à repenser ce qu’est une «composition» dans le cadre du jazz, à considérer la forme comme un organisme vivant, continuellement remodelé par l’acte d’improviser. En ce sens, It’s All in Your Head appartient à cette catégorie rare de premiers disques qui ne se contentent pas d’introduire un artiste, mais formulent déjà une vision.
Pour celles et ceux qui voient dans la musique une recherche autant qu’une émotion, une œuvre qui pense autant qu’elle respire, Julius Gawlik signe ici un premier geste d’une profonde cohérence. Il ne cherche pas à impressionner, il convainc, avec clarté, conviction et une foi tranquille dans le pouvoir du son lorsqu’il est façonné avec intelligence et sincérité.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, November 13th 2025
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Musicians:
Julius Gawlik | Saxophone
Jim Black | Drums
Evi Filippou | Vibraphone
Phil Donkin | Bass
Track Listing:
There Are No Ugly Dogs
You Wish
Fuchs
Glow
Chicago
TSCH
Charis Karantzas: mixing engineer
Martin Ruch: mastering engineer
Niklaus Troxler/ Severin Koller: artwork/design
Recorded by Nanni Johansson at Hansa Studios Berlin in March 2024