Latin Jazz |
“Memorias” de Juan Pastor: une vie en rythme, en mémoire.
Le jazz latino connaît une saison éclatante, et peu d’artistes incarnent son évolution avec autant de force que Juan Pastor. Avec son dernier album, Memorias, ce percussionniste, compositeur et pédagogue né au Pérou signe un enregistrement qui ressemble moins à un simple projet de studio qu’à un témoignage vivant, où mémoire, famille et héritage culturel se mêlent intimement aux innovations du jazz contemporain.
L’histoire de Pastor commence à Lima, où il grandit au cœur des traditions musicales folkloriques du pays. «Depuis le début, le rythme n’était pas seulement un son», se souvient-il. «C’était une façon de raconter l’histoire.» Cette histoire a pris corps sous l’enseignement d’Eusebio Sirio «Pititi», maître légendaire de la percussion afro-péruvienne, qui lui a transmis bien plus que la technique du cajón ou des congas: la conscience que ces instruments portent en eux le battement de cœur d’une culture tout entière. «Pititi m’a montré que chaque frappe sur le cajón est à la fois une note et une histoire», dit Pastor.
Ces histoires sont au cœur même de Memorias. L’album, explique-t-il, est avant tout un hommage à sa grand-mère, Celinda, âgée aujourd’hui de 95 ans, et dont la présence a profondément façonné son sens de la famille et de l’identité. «Cet album repose sur l’idée que les souvenirs ne sont pas seulement quelque chose que l’on revisite», précise-t-il. «Ils font partie de notre existence, façonnent qui nous sommes et la manière dont nous avançons.» C’est cette sensibilité, intime, poétique, mais jamais nostalgique, qui confère à Memorias sa puissance discrète.
La musique de Pastor se distingue depuis longtemps par cet équilibre entre intellect et émotion. Son écriture est visuelle, presque cinématographique, entraînant l’auditeur dans des paysages imaginés construits de rythmes et d’harmonies. Son jeu aux percussions, qu’il s’agisse de batterie ou d’instruments traditionnels, se caractérise par une délicatesse rare: le rythme n’écrase jamais, il dialogue avec l’ensemble musical, comme une voix supplémentaire dans une conversation. «Pour moi, la musique est toujours un tout», explique-t-il. «Le rythme, la mélodie, l’harmonie, ce sont toutes des réflexions d’une même pensée.»
Cette philosophie a donné naissance à l’un de ses projets les plus ambitieux: la création de Chinchano en 2013. Avec cet ensemble, Pastor a inventé un son qui marie l’élan envoûtant de la tradition afro-péruvienne à la complexité harmonique et à l’ouverture improvisée du jazz nord-américain. Au fil de quatre albums, Chinchano, Un Cambio, El Regreso et Cachito, le groupe s’est forgé une réputation d’innovation, saluée par la critique pour sa capacité à honorer l’héritage tout en embrassant sans crainte la modernité.
Mais Memorias se distingue par un caractère plus intime. Ici, la mémoire n’est pas présentée comme figée, mais comme une force vivante, génératrice de créativité. Cette approche s’est également traduite dans ses nombreuses collaborations, auprès d’artistes qui incarnent eux-mêmes un jazz sans frontières: Fareed Haque, Makaya McCraven, Marquis Hill, Miguel Zenón, Paquito de Rivera, Howard Levy ou encore Kurt Elling. «Chaque collaboration m’a confirmé que le jazz n’est pas un style figé, mais un dialogue en perpétuelle évolution», souligne-t-il.
Ce dialogue l’a mené sur des scènes aux quatre coins du monde: le North Sea Jazz Festival aux Pays-Bas, le Made in Chicago Jazz Festival en Pologne, ou encore le Lima Jazz Festival au Pérou. Aux États-Unis, il est devenu l’une des figures incontournables de la scène de Chicago, en tête d’affiche du Chicago Latin Jazz Festival et à l’affiche du Pritzker Pavilion du Millennium Park. «Chaque public apporte sa propre énergie», dit-il. «À Chicago, je ressens une ouverture à l’expérimentation. À Lima, il y a ce lien émotionnel avec mes racines. Au North Sea, c’est l’excitation de faire partie de quelque chose d’international.»
Ce qui relie tous ces moments, c’est l’exigence de Pastor: la musique doit rester vivante. Memorias n’est pas un regard vers le passé, mais une manière de porter la mémoire dans le présent. «Je ne veux pas que ma musique ressemble à un musée», insiste-t-il. «Je veux qu’elle respire.» Et elle respire, en effet, parfois doucement, parfois avec urgence, mais toujours avec une pulsation profondément humaine et sincère.
Pour les amateurs de jazz, Memorias offre plusieurs portes d’entrée: un portrait intime de la famille et de l’héritage, une exploration raffinée du rythme et de la mélodie, ou tout simplement une musique qui invite à la rêverie. Qu’on l’écoute dans l’atmosphère vibrante d’une salle de concert ou au fil d’un après-midi tranquille dans un jardin, l’album parle un langage à la fois personnel et universel.
À une époque où le jazz continue de se redéfinir au XXIe siècle, Juan Pastor s’impose comme une voix à la fois enracinée et en mouvement, honorant la terre d’où il vient tout en tendant vers de nouveaux horizons. Avec Memorias, il nous rappelle que le passé n’est jamais révolu, il vit dans chaque note, façonnant ce que nous sommes et ce que nous pourrions devenir.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, September 28th 2025
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Musicians :
JUAN PASTOR: drums (1-6), cajón (2,4,7)
STU MINDEMAN: piano
MATT ULERY: bass
DUSTIN LAURENZI: tenor saxophone
GIAN LUIGGI CORTEZ MEJÍA: congas, cajón, bell, cajita
JOSÉ “PEPE” MANTERO: castanets (1)
Tracklisting:
1. Celinda 04:10
2. Entre el Humo
3. Memorias
4. Tonada de Luna Llena
5. Human Touch
6. Qué Frío
7. Descarga Galáctica
Tracks 1, 3, 6, 7 composed by Juan Pastor (Chinchano Music, BMI)
Track 2 composed by Stu Mindeman (BMI)
Track 4 composed by Simón Díaz (BMI), arranged by Stu Mindeman
Track 5 composed by Matt Ulery (Woolgathering Music, ASCAP)
Produced by Juan Pastor
Recorded on July 13-14, 2024 at Transient Sound, Chicago, IL
Recorded by Vijay Tellis-Nayak and Brennan Mitroika
Additional percussion overdubs at Cachito Studios, Chicago, IL, engineered by Juan Pastor
Castanets recorded at Estudio de Diego Rivera, engineered by Diego Rivera
Mixing & Mastering by Brian Schwab
Cover Painting by Antonio Bonicelli
Design and layout by Chad McCullough
Portrait photography by Kambua Chema
This recording was made possible with funding from the City of Chicago Department of Cultural Affairs and Special Events (DCASE)